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INTRODUCTION




De tous les pays du continent américain, le Mexique est celui qui compte le plus d'indiens en nombre absolu et l'un de ceux où ils se présentent avec la plus grande hétérogénéité sociale et culturelle : plus de dix millions de personnes formant des milliers de communautés et parlant plus de cinquante langues différentes. Je suis allé à la rencontre d'un peuple de la sierra Madré, aux confluents des états de Jalisco, Nayarit, Durango et Zacatecas. Le peuple "Wixarika", dénommé par les métis "Huichol", est complètement isolé de tout, de par son emplacement géographique à une demi-heure de vol de toutes villes "civilisées". Un autre monde, un autre espace, un autre temps, assurément.







Avec les accords nord américains (Aléna, Plan Puebla Panama, ….) le pays semble s'éloigner de plus en plus de ce qui faisait son "exception culturelle", sa "mexicanité", et se coule doucement mais sûrement (?) dans le moule de la mondialisation néolibérale. Ici, à San Andres Tateikie, c'est tout autre chose ; les mythes et la tradition demeurent… Enfin ... de façon ambivalente …







Le territoire huichol, dénué de réelles quantités de ressources naturelles, et difficilement accessible par la route, n'a pas été l'enjeu de réelles occupations illégales de terres si l'on compare ce fait à d'autres espaces mexicains ou l'oppression s'est révélée extrêmement plus intense. Les communautés huicholes réparties en cinq bourgs principaux (dont dépendent une multitude de hameaux) ont pu conserver toute leur originalité culturelle sans plus de compromission qu'un synchrétisme religieux _ habile _ avec le catholicisme.







Leur ouverture sur le monde moderne s'est réalisée dès les années 70 avec l'émergence de l'époque psychadélique et de la mode new age aux Etats Unis qui focalisèrent un certain nombre d'adeptes vers les populations huicholes qui utilisaient (et utilisent toujours) la mescaline, substance psychotrope du cactus peyolt, à des fins rituelles, comme vecteur de communication des chamans et également comme source d'inspiration des artistes. Ce sont leurs œuvres, avec notamment leurs tableaux en fils de laine de couleurs vives, qui firent ainsi connaître les Huichols dans un premier temps aux Etats Unis, puis plus tard à l'international. Les Huichols de cette époque avaient déjà bien perçu au travers de l'"échange" artisanat-dollars les premiers arcanes du pouvoir de l'argent dans nos sociétés "développées". Certains Huichols quittent aujourd'hui la Sierra pour s'installer aux abords des villes où ils vendent leur artisanat. Autant dire qu'ils savent tirer les ficelles du dieu "Argent". Au panthéon des divinités, la mastercard n'aurait-elle pas voie au chapître ?



Une bonne partie des jeunes générations huicholes est attirée par les facettes du modernisme, dont l'attrait de la matérialité est véhiculé _ en ville _ par un autre dieu : "Télévision". On peut donc parler, pour tous, d'ambivalence entre la pratique de la tradition mystique et l'envie d'adhérer à un modernisme "argenté". Les plus habiles assument ainsi une double casquette… Mais pourquoi leur porter un jugement, puisque ce sont nos sociétés de la consommation et de la communication qui leur tendent le miroir aux alouettes ?! Combien sur la planète épousent la même trajectoire et les mêmes illusions ? Et que dire de l'extrême pauvreté dans laquelle ils vivent, et qui n'offre pas matière à hésitation au débat ?







Aussi, passées ces étapes nécessaires, de considérations, d'ambivalence et de contradictions, ouvrons les portes ! Ouvrons les portes pour laisser se révéler les mythes et les traditions culturelles d'un peuple ; laissons-nous nous imprégner de leur conception de l'espace et surtout de celle de leur temps. Ecoutons-les. Apprenons. Et soutenons-les. Au vu de la forme de leur artisanat, encré dans leur pratique sacrée des rituels et des offrandes, une phrase de Claude Levis-Strauss prendra ici toute sa dimension : "Devant une société encore vivante et fidèle à sa tradition, le choc est si fort qu'il déconcerte : dans cet écheveau aux mille couleurs, quel fil faut-il suivre d'abord et tenter de débrouiller ?" Il reste ainsi à entrevoir par petites touches successives, tel le peintre, un monde étrange et fascinant, bien loin de tout, bien loin de nous … au fil des mondes …


Lionel Séité / Avril 2006



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