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  TRIBUNE




Cet espace propose des textes, articles, discours, témoignages ou interviews, de personnalités diverses, qui viennent enrichir les propos exposés dans les rubriques précédentes.


SOMMAIRE


  • "LE GOUT DE LA LIBERTE DES ZAPATISTES" : entretien avec Jérôme Baschet
    À l'occasion du vingtième anniversaire du soulèvement zapatiste du 1er janvier 1994, entretien avec Jérôme Baschet réalisé par Bernard Duterme, directeur du Centre tricontinental (CETRI) basé à Louvain-la-Neuve (Belgique.

  • DE PASSAGE PAR LES "CAFETALES" ZAPATISTES
    Témoignage sur la coopérative zapatiste de caféiculteurs Yachil Xojobal Chulchan.

  • ZAPATISME, POUVOIR ET DÉMOCRATIE
    par Jean-Pierre Petit-Gras pour le Comité de Solidarité avec les Peuples du Chiapas en Lutte (CSPCL), printemps 2009

  • EZLN, 25 ANS APRES
    Paroles adressées par le sous-commandant insurgé Marcos et par le lieutenant-colonel Moisés, aux membres de la Caravane nationale et internationale d'observation et de solidarité avec les communautés zapatistes & déclaration de cette même Caravane - août 2008







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    "LE GOUT DE LA LIBERTE DES ZAPATISTES" :


    à l'occasion du 20e anniversaire de la rébellion du Chiapas, entretien avec Jérôme Baschet réalisé par Bernard Duterme, directeur du Centre tricontinental (CETRI) basé à Louvain-la-Neuve (Belgique)



    Historien médiéviste reconnu internationalement, Jérôme Baschet est sans doute aujourd'hui l'observateur francophone le plus proche de la rébellion des indigènes zapatistes du Sud-Est mexicain. Enseignant à l'École des hautes études en sciences sociales (Paris) et à l'Université autonome du Chiapas (San Cristóbal de Las Casas) depuis plus de quinze ans, il a consacré au mouvement zapatiste de multiples travaux, dont le remarqué La Rébellion zapatiste : insurrection indienne et résistance planétaire (Flammarion, 2005). En 2013, il a préfacé l'ouvrage Eux et Nous (éditions de l'Escargot) qui publie des textes récents des sous-commandants Marcos et Moisés, porte-parole de la rébellion. Sort de presse en ce mois de janvier 2014, son nouveau livre, largement fondé sur l'inspiration zapatiste, Adieux au capitalisme : autonomie, société du bien vivre et multiplicité des mondes (La Découverte).


    En ce 20e anniversaire du soulèvement indigène du 1er janvier 1994, la dynamique zapatiste est-elle toujours à ce point porteuse de sens et d'espoir pour les résistances altermondialistes et les luttes d'émancipation dans le monde ?

    Au cours des années récentes, principalement de 2007 à 2011, il était courant d'entendre dire que le mouvement zapatiste s'était épuisé. Au Mexique, les médias et certains intellectuels plutôt hostiles entretenaient les rumeurs sur la débandade au sein de l'EZLN (Armée zapatiste de libération nationale) ou sur la mort du sous-commandant Marcos. Pour tous ceux-là, et à dire vrai pour tout le monde, la mobilisation massive du 21 décembre 2012, le "jour de la fin du monde", a été une surprise totale : plus de 40 000 zapatistes ont occupé, dans un silence impressionnant et de manière aussi ordonnée que pacifique, cinq villes du Chiapas (presque les mêmes que le 1er janvier 1994). Cela a constitué un démenti cinglant à toutes les rumeurs, démontrant que la relative discrétion des années précédentes ne signifiait pas un déclin, mais la préparation silencieuse d'une nouvelle étape de la lutte. Depuis, la " petite école zapatiste " a constitué une impressionnante démonstration de force et d'inventivité politique. Parmi les autres initiatives annoncées dans la série de communiqués intitulée " Eux et nous ", il y a l'appel à constituer un réseau planétaire de luttes, appelé " la Sexta " (en référence à la Sixième Déclaration de la Selva lacandona). Pour cela, les zapatistes soulignent qu'il ne s'agit plus de faire la liste, connue jusqu'à la nausée, des NON de ce que nous refusons, mais d'élaborer collectivement les OUI qui caractérisent les mondes que nous voulons. En matière de construction de ces mondes alternatifs, il me semble que les zapatistes ont développé une expérience qui, sans nullement constituer un modèle, est l'une des plus importantes que l'on puisse observer aujourd'hui. Il serait très dommage, pour tous ceux qui ne désespèrent pas d'un véritable projet d'émancipation, de ne pas tourner le regard vers cette expérience, pour apprendre d'elle ce qui peut l'être, y chercher une possible source d'inspiration et, à tout le moins, un regain d'énergie et d'espérance.



    En 2013, les zapatistes ont lancé une nouvelle invitation aux " zapatisants " du monde entier à venir se frotter de près aux réalités de la vie quotidienne des communautés rebelles autonomes, durant ce qu'ils ont appelé " la petite école zapatiste " (dont une première session a eu lieu en août dernier, une deuxième et une troisième autour de ce 1er janvier 2014). Vous y avez participé : quel bilan tirent ces communautés et quel bilan tirez-vous vous-même de la situation d'" autonomie de fait " qu'elles ont construite depuis plus d'une décennie (en réaction au non-respect gouvernemental des Accords de San Andrés censés précisément officialiser une certaine forme d'autonomie indigène) ?

    La " petite école " du mois d'août, qui a permis à près de 1500 personnes de partager, une semaine durant, la vie de familles zapatistes, a été une expérience exceptionnelle et parfois bouleversante, y compris sur le plan émotionnel. Cela a également été, pour les zapatistes eux-mêmes, l'occasion de faire une évaluation collective de l'autonomie, qui a été consignée dans quatre élégants fascicules remis aux participants de la "petite école". Ce bilan est d'une grande honnêteté ; il fait une large place aux difficultés, aux tâtonnements de ceux qui, au moment de se constituer en autorités, savaient n'être pas préparés pour cela et ont dû " cheminer en questionnant " ; de nombreuses lacunes et des erreurs parfois graves sont également reconnues. Néanmoins, ce qui a été réalisé est remarquable. Prenant appui sur les traditions indiennes tout en les renouvelant profondément, un système d'autogouvernement a été mis en place, au niveau des villages, des communes et des régions. Cinq " Conseils de bon gouvernement " fonctionnent, rendent la justice, organisent la prise de décision collective sur la base d'un mécanisme complexe de consultation des assemblées locales, communales et régionales. Un système de santé autonome a été mis en place ; des centaines d'écoles autonomes ont été créées et plus d'un millier d'enseignants ont été formés. Et cela sur la base d'un refus absolu de toute aide gouvernementale. Ce que les zapatistes ont créé peut être considéré comme un autogouvernement de démocratie radicale. Ils démontrent que la politique n'est pas une affaire de spécialistes et que les gens ordinaires (que nous sommes aussi) sont capables de s'emparer des tâches d'organisation de la vie collective. Ils appellent cela l'autonomie, terme qui, pour eux, n'a rien à voir avec une simple décentralisation des pouvoirs de l'État, mais désigne une démarche clairement antisystémique, à la fois construction d'une autre réalité sociale et mise en place d'une forme non étatique de gouvernement, dans laquelle la séparation entre gouvernants et gouvernés tend à se réduire autant que possible. C'est cela le " bilan " du zapatisme, 20 ans après le Ya Basta ! de 1994, et ce n'est pas rien.



    Quelle est la viabilité sociale d'une telle expérience émancipatrice dans un contexte politique, militaire et économique toujours aussi adverse ?

    La situation des communautés rebelles est certes moins dramatique qu'elle ne l'était entre 1997 et 2000 (paramilitarisation orchestrée par le gouvernement fédéral, dizaines de milliers de déplacés, massacre d'Acteal en décembre 1997). Néanmoins, l'hostilité contre-insurrectionnelle reste aujourd'hui manifeste. Elle agit surtout par l'intermédiaire de groupes et organisations que les autorités incitent à harceler les communautés zapatistes, notamment afin de leur soustraire des terres récupérées en 1994 et que celles-ci cultivent depuis lors (elles n'ont pas été légalisées, faute d'un accord de paix mettant fin au conflit). Il y a actuellement plusieurs communautés zapatistes qui ont dû abandonner leurs villages à la suite d'actions de ce genre, menées les armes à la main. Autre exemple, dénoncé l'an dernier : une organisation non zapatiste avait reçu une aide gouvernementale ; l'accord prévoyait que le projet ainsi financé devait utiliser un hangar dont les zapatistes font usage depuis les années 1990 pour y entreposer leur récolte de café.

    Si l'EZLN répondait à la violence par la violence, ce serait le prétexte idéal pour une intervention de l'armée fédérale. Poursuivre la construction de l'autonomie suppose donc d'avoir assez de sang-froid pour ne pas " répondre à la provocation ". Cela dépend aussi de la vigilance de la " société civile " mexicaine et internationale, qui est essentielle, car elle rappelle aux autorités fédérales que les zapatistes ne sont pas seuls.



    Dans certaines régions et communautés du Chiapas, la population indigène elle-même est hostile à la rébellion zapatiste. Comment ces clivages, parfois violents, évoluent-ils aujourd'hui ?

    Hormis ces situations de conflit ouvert, presque toujours induits ou encouragés par les autorités, zapatistes et non zapatistes sont tout à fait capables de coexister pacifiquement. C'est ce qui se passe dans la plupart des villages du Chiapas. Une grande partie de la population indigène, sans être zapatiste, ne leur est pas hostile et leur témoigne souvent un véritable respect.

    Du reste, les cliniques zapatistes sont ouvertes aux non zapatistes, qui savent qu'ils y seront mieux traités que dans les hôpitaux publics où règnent racisme et inefficacité (nombreux cas récents de femmes indigènes ayant accouché à l'entrée d'hôpitaux publics sans être prises en charge). Il est également fréquent que des non zapatistes fassent appel à l'un des " Conseils de bon gouvernement " pour résoudre une question juridique. Ils bénéficient là d'une justice gratuite, rapide et exercée par des personnes qui connaissent la réalité indienne, ce qui n'est pas le cas des instances constitutionnelles, dont la corruption est profonde. L'un des cinq " Conseils de bon gouvernement " s'est récemment inquiété d'avoir trop de cas de non zapatistes à traiter : il a simplement décidé, sans revenir sur le principe de gratuité, de demander que soient couverts les modestes frais de déplacement (en microbus) des personnes en charge de la justice, lorsque celles-ci devaient se rendre sur les lieux de l'affaire !



    Sur le plan national, les zapatistes ont relancé dernièrement la dynamique du " Congrès national indigène " qui fédère les luttes des peuples indiens du Mexique contre l'exploitation de leurs territoires. Au-delà, quelles sont les relations de l'EZLN avec les diverses composantes de la gauche mexicaine ?

    Fondé en 1996, le Congrès national indigène rassemble des organisations de la plupart des ethnies du pays (plus de cinquante au total). Sa dernière réunion générale, en août dernier, a été convoquée à l'initiative de l'EZLN et a pris le nom de " Chaire Tata Juan Chávez Alonso ", en l'honneur de l'un des fondateurs du CNI, récemment décédé. Des centaines de délégués des organisations indiennes de tout le pays y ont dressé l'effrayante liste des attaques contre leurs territoires et leurs formes d'organisation communautaire, depuis le détournement illégal de l'eau du fleuve Yaqui dans l'État de Sonora jusqu'à l'implantation massive d'éoliennes détruisant l'écosystème lagunaire dont vivent les pêcheurs de l'isthme de Tehuantepec, sans oublier les récentes attaques contre la police communautaire des régions montagneuses du Guerrero. Le CNI est le lieu de convergence et d'appui mutuel entre ces multiples luttes indiennes.

    Les zapatistes ayant dit et répété qu'ils rejetaient totalement la politique d'en haut, celle de l'État et du système des partis, leurs relations avec le Partido de la Revolución Democrática [Parti de la révolution démocratique] (depuis son adhésion au Pacte pour le Mexique du président Peña Nieto peut-on encore le dire " de gauche " ?) ainsi qu'avec López Obrador, qui tente de fonder un nouveau parti, sont inexistantes. Pour les zapatistes, ce qui importe c'est de tisser des liens avec les organisations dont la lutte ne s'inscrit pas dans une perspective électorale, ainsi qu'ils l'ont fait dans le cadre de " l'Autre campagne ".



    On se souvient que le jour du soulèvement indigène zapatiste du 1er janvier 1994 fut aussi celui de l'entrée en vigueur des Accords de libre-échange nord-américain - ALENA (Mexique, États-Unis, Canada). Vingt ans plus tard, quel bilan les zapatistes dressent-ils de cette ouverture du marché mexicain aux grands voisins du Nord ? Quelle influence a-t-elle eu sur leur propre lutte ?

    Pour les zapatistes, il est clair que l'ALENA, signé entre des puissances aussi manifestement inégales, fait partie de la " quatrième guerre mondiale " qui, en soumettant peuples et États à la logique néolibérale, tend à les détruire. De manière plus spécifique, l'ALENA a fonctionné comme " arme de destruction massive " contre la paysannerie mexicaine. Dans les années 1980, le Mexique était autosuffisant pour sa production de base ; aujourd'hui, il importe la moitié du maïs consommé, pour ne rien dire des autres céréales. L'abandon pur et simple du monde rural faisait explicitement partie du projet du président Salinas de Gortari, lorsqu'il a signé l'ALENA. Il s'agissait de vider les campagnes et de mettre fin à un mode de vie archaïque dont la logique technocratique se plait à souligner qu'il n'apporte presque rien au PIB national. Le résultat est catastrophique : migrations, déstructuration des communautés, baisse de la production, imposition de nouvelles formes de consommation, dépendance accrue à l'égard du marché, etc. Aux côtés d'autres organisations qui défendent une agriculture paysanne et promeuvent la souveraineté alimentaire, l'autonomie telle qu'elle se construit en territoire zapatiste se présente comme une alternative au désastre rural mexicain.



    Quelles sont, à vos yeux, les perspectives de la dynamique zapatiste (" anticapitaliste, en bas à gauche " ) comme critique en actes du modèle dominant et d'un certain rapport au politique ?

    Le mouvement zapatiste (notamment " la Sexta ") se définit à la fois par un anticapitalisme conséquent et par un refus de la politique d'en haut, celle qui est centrée sur le pouvoir d'État et le jeu des partis. Ce second point renvoie évidemment à une question sensible, qui provoque malheureusement bien des divisions au sein des gauches mondiales. Pour les zapatistes, cette posture est le résultat d'une histoire jalonnée de trahisons (accords signés par le gouvernement mais jamais respectés, vote des parlementaires de tous les partis contraire au projet de réforme constitutionnel issu des Accords de San Andrés). Elle repose aussi sur le fait que le choix de la conquête du pouvoir d'État conduit, dans un monde dont la globalisation est irréversible, à une soumission, plus ou moins maquillée, aux logiques systémiques et, de plus, à une accentuation de la séparation entre gouvernants et gouvernés. Sur cette base, il n'y a pas d'autre option que de multiplier les espaces permettant d'amorcer la construction de formes d'organisation collective alternatives. Mais, attention, les zapatistes ne prônent pas la stratégie de la désertion et il ne s'agit pas, pour eux, de créer quelques îlots de paix supposément protégés du désastre capitaliste. Ils savent fort bien que, pour construire, il faut une force collective organisée. Et, même si l'autonomie qu'ils ont construite est sans doute l'un des " espaces libérés " les plus amples actuellement existants, ils savent aussi qu'une telle autonomie doit être défendue en permanence contre de multiples agressions et qu'elle demeure nécessairement partielle, vu son environnement systémique. De ce fait, construire et lutter contre doivent être conçus comme deux démarches indissociables. Durant la " petite école ", l'un des " maestros " zapatistes nous a demandé à tous : " et vous, est-ce que vous vous sentez libres ? ". Pour eux, la réponse est claire. Malgré des conditions de précarité extrêmes, ils ont fait le choix de la liberté ; ils décident eux-mêmes de leur propre manière de s'organiser et de se gouverner. C'est sans doute ce goût de la liberté et la dignité qui en découle que l'on perçoit dans la manière d'être si singulière des zapatistes.



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    Dial - Diffusion de l'information sur l'Amérique latine - D 3265. http://www.alterinfos.org/spip.php?article6421 Source (français) : CETRI, 1er janvier 2014. www.cetri.be
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    DE PASSAGE PAR LES "CAFETALES" ZAPATISTES


    Mexique - Chiapas - Zone Altos



    La coopérative zapatiste de caféiculteurs Yachil Xojobal Chulchan est située sur le territoire du Caracol [1] II d'Oventik "Resistencia y Rebeldia por la Humanidad". Cette coopérative est constituée de huit municipios [2] des Altos : Chenalhó, Chalchihuitan, Pantelhó, Tenajapa, Cancuc, Simojovel, El Bosque et Magdalena de la Paz.


    Oventik, dans la résistance et la rébellion pour l'humanité


    Depuis San Cristóbal de Las Casas, pour rejoindre le Caracol d’Oventik, la route monte à travers la brume et les nuages vers le froid et l’humidité des Altos. À l’entrée du Caracol, des peintures murales sur les façades des habitations, un portail et deux gardes derrière des passe-montagnes. Sur une fresque, un escargot s’exprime : « lentement, mais j’avance ». Il nous faudra une heure avant de pouvoir passer de l’autre côté. Nous sommes venus à Oventik pour demander l’autorisation au conseil de bon gouvernement, « Corazón Céntrico de los Zapatistas delante el Mundo » de pouvoir accéder aux cafetales [3] zapatistes. Après une attente certaine, nous sommes reçus. Les paroles du conseil de bon gouvernement sont simples et sincères. Ils nous parlent de l’importance de la vente du café pour les zapatistes. Il s’agit bien souvent du seul moyen de pouvoir vivre tout en continuant de résister. Être zapatiste c’est refuser toute aide du mauvais gouvernement. La vente du café est alors l’une des seules possibilités d’obtenir de l’argent pour acheter des médicaments, des vêtements, des tôles pour le toit des maisons...

    Ils nous parlent également de la situation avant 1994, année du soulèvement. Le café était alors acheté à un prix extrêmement bas. L’insurrection du 1er janvier 1994 a permis de rechercher des formes alternatives de commercialisation du café. Remplacer la loi des coyotes [4] par des liens de solidarité notamment avec des groupes de soutien en Europe et aux États-Unis. Sortir des règles du marché et s’organiser en bas à gauche a permis d’augmenter et de stabiliser le prix du café pour les producteurs. Cette amélioration de la situation contribue à l’avancée du mouvement zapatiste, dans sa construction de l’autonomie. Lentement mais toujours vers l’avant.

    La coopérative Yatchil Xojobal Chulchan vend son café entre 75 et 86 pesos le kilo aux groupes Mut Vitz 31, Americasol et Échanges solidaires en France, Kinal Estocolmo et Gebena Cafe en Suisse, Cooperative Coffee Americus aux États-Unis, Ya Basta en Italie, Café Libertad en Allemagne.



    Municipio Autonomo Rebelde Zapatista - Marez - San Pedro Polhó


    Du Caracol d’Oventik, nous partons pour le municipio autonome de San Pedro Polhó, où se trouve l’entrepôt de la coopérative Yachil Xojobal Chulchan. Nous traversons les villages de Chenalhó et Yabteclum pour arriver devant une petite église bleue, ornée de peintures célébrant le mouvement zapatiste. L’entrée du municipio est située juste à côté, un portail gardé par une femme zapatiste derrière son passe-montagne.

    Ce Marez s’est constitué en 1995. Son histoire est indissociable de la violence paramilitaire qui s’implante dans la zone cette même année. Dès 1995, alors que les représentants du gouvernement mexicain sont assis à la table des négociations de paix, l’armée mexicaine organise et entraîne des groupes armés au sein même des communautés de la région. Cette stratégie contre-insurrectionnelle est connue sous le nom de « guerre de basse intensité ». Les groupes paramilitaires agressent continuellement les membres des communautés proches du mouvement zapatiste. Ils brûlent maisons et récoltes, volent, violent, tuent.

    L’État mexicain qualifie alors les violences de conflits intra et intercommunautaire. Il dissimule ainsi ses responsabilités dans cette guerre de harcèlement.

    Dès le début de l’année 1997, la guerre de basse intensité prend de l’ampleur. La peur s’installe dans les communautés zapatistes. Face à la violence paramilitaire, quasiment neuf mille personnes vont se déplacer dans le municipio autonome de San Pedro Polhó. La situation est alors dramatique, les déplacés ont dû tout abandonner. Tout ce qu’ils possédaient est resté derrière eux. Ils ne peuvent plus travailler leurs terres au risque d’être tués. La nourriture vient à manquer. Les camps de déplacés s’organisent mais bien souvent seules les bâches en plastique servent d’abris dans une région où les pluies et le froid sont rigoureux. La stratégie contre-insurrectionnelle culmine le 22 décembre 1997 avec le massacre de quarante-cinq personnes, parmi lesquels des jeunes enfants, de la société civile Las Abejas à Acteal.

    Aujourd’hui encore, de nombreux déplacés vivent toujours dans le municipio autonome de San Pedro Polhó. Sur les 780 membres de la coopérative Yachil Xojobal Chulchan, 150 caféiculteurs vivent à Polhó.

    La culture du café a notamment permis de construire des habitations en bois, parfois en béton et d’acquérir des tôles pour les toits. L’amélioration des conditions de vie est manifeste.

    Depuis quelque temps, il semble que la situation se soit quelque peu normalisée. Au-dessus des dernières habitations de Polhó, le camp militaire de Majomut est toujours en activité. Toutefois, il n’y a presque plus de barrages qui restreignent les déplacements. Les groupes paramilitaires sont toujours présents dans les communautés environnantes, mais les zapatistes déplacés ont pu à nouveau cultiver leurs terres. Cette situation peut toutefois se détériorer à tout moment, si bien que la grande majorité des déplacés ne retournent pas vivre dans leur communauté. Ce déplacement forcé oblige les caféiculteurs à travailler des parcelles éloignées de leur habitation, parfois à plus de deux heures de marche. Mais le problème essentiel reste le manque de terres disponibles. Sur des terres, généralement communales [5], chaque famille dispose d’une parcelle. À la mort du chef de famille, la parcelle est alors divisée en part égale entre tous les enfants. De génération en génération, cette répartition a pour effet de diminuer la surface des parcelles. À terme, les parcelles seront si petites qu’elles ne permettront plus à une famille de vivre décemment. Face à cette situation, certains caféiculteurs ont choisi de travailler collectivement. La parcelle n’est alors plus divisée et le collectif continue de travailler une même surface. Une autre solution est la récupération de terres appartenant aux grands propriétaires. Cette dernière option n’a pas été retenue dans cette région des Altos.

    Avant de nous rendre dans les plantations de café, nous rejoignons le nouvel entrepôt de la coopérative. Il est situé au croisement dit de Majomut. Cette année, les municipios de Simojovel, El Bosque et Magdalena de la Paz, anciennement membres de la coopérative Mut Vitz ont rejoint Yachil Xojobal Chulchan. L’ancien local était trop petit pour stocker l’ensemble du café produit. La coopérative a alors opté pour la construction d’un nouvel entrepôt. Il devrait également permettre l’installation de machines nécessaires à la dernière opération de tri avant l’exportation. À ce jour, l’ultime sélection des grains de café est réalisée dans une maquiladora [6] de Chiapa de Corzo.

    Pour notre part, nous dormirons dans l’entrepôt sur des bancs et des sacs de café, vides. Bien qu’il n’y ait toujours pas un seul grain de café stocké, le bâtiment est gardé jour et nuit par des caféiculteurs qui se relaient toutes les vingt-quatre heures. La situation n’est peut-être pas si normalisée que ça...

    En ce mois de décembre, les sacs de café peinent à se remplir car, ici aussi, le changement climatique a des répercussions. Sur les hauteurs de Polhó, le café est toujours vert et la récolte n’a pas vraiment commencé. Il nous faudra aller sur des parcelles plus basses, sur les terres dites tierra caliente pour trouver les cerises de café bien rouges. Les compañeros de Yachil Xojobal Chulchan nous emmèneront dans les communautés zapatistes de Guadalupe Las Laminas, Ocotal et Esmeralda sur le municipio de Pantelhó.



    Le cycle du café


    Petit matin blême. Des hommes, des femmes et des enfants patientent pour prendre le camion. On suit une piste qui va cahin-caha. Il est 6 h 30. Tout le monde descend. Le soleil commence à pointer. L’équipe descend presque jusqu’à la rivière. Chacun prend son panier. Les gestes sont sûrs. Faits et refaits des milliers de fois. Les femmes restent entre elles. Les plus jeunes gardent les bébés. Ici, toute la famille participe. Le travail se fait à l’ombre de grands arbres plantés pour protéger les grains de cafés. Heureusement car le soleil est déjà bien chaud.

    Ici, les grains sont biens mûrs. Rouges presque pourpres. Les grains tombent facilement dans le panier. Chaque panier plein est ensuite reversé dans un grand sac plastique. En milieu de matinée, moment de pause. Les femmes sortent les tortillas, les frijoles et le pozol. Moment de partage à même le sol.

    Au bout de quelques heures, les hommes commencent à remonter les sacs sur leur dos. Il est 14 heures, la journée est loin d’être finie. La montée est rude. L’effort est intense. Les sacs les plus lourds peuvent peser jusqu’à 50 kilos. Ils n’utilisent pas d’animaux, trop cher et pas de possibilité de pâturage. Et, sans se plaindre, ils montent. Obstinément. Les femmes aussi portent des sacs peut-être un peu moins lourds et encore... Les adolescents suivent l’exemple de leur père et montent aussi les sacs. Ici, l’apprentissage se fait en direct. La transmission est instantanée, les mains dans le café, les pieds bien arrimés à la terre. Tout s’apprend dans les champs, par la parole et les gestes. Une communauté qui se vit et qui se transmet par l’effort.

    Un peu plus haut sur la rivière, des hommes s’activent pour mettre en place la dépulpeuse, petite machine en fonte. Bien lourde. Qu’il a fallu amener jusque-là. À même l’épaule. Là aussi l’effort est dense. Surhumain selon nous. Quelques coups de machette plus tard, des troncs d’arbres qui deviennent des pieds de table et la voici posée fièrement au milieu du champ. D’autres préparent des grandes bassines d’eau pour commencer le dépulpage. Il s’agit de retirer la peau rouge pour ne laisser que les deux grains de café. En premier lieu, les grains sont versés dans la bassine. Les mauvais grains flottent. Ils sont retirés immédiatement. Les grains biens formés se déposent au fond de la bassine. Ils sont amenés à la dépulpeuse. Là, un homme tourne une manivelle avec force. La peau est broyée et recrachée par terre. Elle servira d’engrais pour la milpa [7]. Les bons grains sont déposés dans un sac et montés à même l’épaule. D’autres montent les sacs directement à leur ferme et dépulpent à domicile. Certains ont motorisé la dépulpeuse. Pour soulager les corps. Juan nous a bien dit que sa journée est finie quand son corps est à bout. Quand tous ses muscles ne sont plus que douleur et souffrance.

    Par la suite, les grains sont déposés dans un bac pour fermenter durant vingt-quatre heures. Il est plus de 20 h 30. La journée est enfin finie jusqu’au lendemain. Pour cueillir à nouveau. Un cycle sans fin...

    Au retour de la deuxième journée, les grains fermentés sont lavés en deux fois. Paco, le paysan se met debout dans l’eau pour faire sortir l’eau sale. Le travail est long. Minutieux. Tous ces gestes sont doux. Presque comme une caresse. On le sent attentionné. Presque heureux malgré la rudesse du labeur. En tout cas, Paco est indéniablement amoureux de sa terre. Tout son corps exprime la dignité, l’humilité du paysan face à la nature.

    Pendant ce temps-là, son fils joue au cerf-volant. Un autre gratte une guitare dans un coin. Une vie quotidienne, tout en simplicité. Une communauté solidaire, qui travaille pour vivre dignement.

    Au petit matin, face au soleil qui brille, ils tamisent le café pour sortir les mauvais grains. Chaque grain est examiné. Dans chaque opération, le mauvais grain est traqué. Et pourtant, à chaque fois, il en reste encore et toujours.

    Esmeralada, petite communauté posée au fin fond d’une vallée dans un décor majestueux entre rivières et montagnes. Ici, les zapatistes sont minoritaires. Pablo nous fait découvrir le procédé du séchage. Toute la famille participe à cette tâche. Dans les patios. Sur les toits terrasses, le café s’offre au soleil pendant quatre ou cinq jours. Un nouveau tri permet enfin de sortir le grain de café propre, appelé pergamino. Il sera ensuite mis dans des sacs en toile de jute, plus chers à l’achat mais qui permettent de mieux faire respirer le café. Yachil Xojobal Chulchan achète ce café pergamino aux différents membres de la coopérative et l’expédie dans une maquiladora pour un dernier tri des grains en fonction de leur taille. Ce café oro est alors celui qui prendra la direction du port de Veracruz pour être vendu à l’exportation.

    De notre côté nous quittons la communauté Esmeralda pour l’entrepôt de San Pedro Polhó. Nous y retrouvons le comité exécutif de la coopérative. Ils cassent des cailloux, à grands coups de masse, pour ériger un mur de soutènement. Une image bien différente de celle que nous avons des fonctions de président, secrétaire et trésorier.



    Yach’il Xojobal Ch’ulchan, une coopérative zapatiste

    En 1998-1999 les caféiculteurs zapatistes de Pantelhó, Cancuc et Chilon se sont retrouvés pour discuter des possibilités leur permettant de ne plus vendre leur café aux coyotes et d’obtenir un meilleur prix. La résistance au système néolibéral consiste, dans ce cas, à créer une organisation dépendant le moins possible des lois du marché. La coopérative Yachil Xojobal Chulchan s’est constituée officiellement en 2001. Elle a expédié son premier demi-conteneur aux États-Unis en 2002. En 2011, la coopérative regroupe huit municipios des Altos et produit plus de 200 tonnes de café. L’ensemble du café commercialisé est destiné à l’exportation. Il est acheté par des groupes européens et états-uniens solidaires du mouvement zapatiste.

    Le prix du café est fixé tout d’abord en prenant l’avis des différents caféiculteurs qui définissent un montant qui leur paraît juste. Ce prix est alors proposé aux acheteurs qui ont des conditions différentes en fonction des groupes. Il n’y a donc pas un prix unique pour tous les acheteurs.

    Une première partie du café acheté est payée en janvier. Ce versement par anticipation permet de payer les caféiculteurs dès la récolte. Le solde de la commande est versé en avril, lorsque la récolte est terminée et tous les frais identifiés.

    Au sein de Yachil Xojobal Chulchan, chaque producteur est payé en fonction de la quantité de café livrée à la coopérative. Afin de ne pas tomber dans le piège de la monoculture, les caféiculteurs continuent de réserver une partie de leurs terres pour cultiver la milpa. L’argent du café est utilisé pour l’achat de biens qu’ils ne peuvent pas produire.

    Par ailleurs, certains groupes d’acheteurs reversent les bénéfices générés par la vente du café aux cinq conseils de bon gouvernement du territoire zapatiste. Ils participent ainsi au financement de la construction de l’autonomie y compris dans les zones non productrices de café. Au-delà de la recherche d’un prix plus juste pour les producteurs, la solidarité s’affirme également en reversant aux zapatistes ce qui leur appartient.

    La coopérative Yachil Xojobal Chulchan a été fondée par des indigènes tseltal et tsotsil : Elle fonctionne suivant leur mode d’organisation traditionnel. La direction est assurée par quarante-cinq personnes réparties en comité exécutif, comité de vigilance, commission technique, commercialisation, contrôle de qualité, commission d’admission de nouveaux membres.

    Le comité exécutif a pour mission de coordonner l’ensemble des commissions et d’assurer le bon fonctionnement de la coopérative. Le comité de vigilance a pour mission de surveiller le comité exécutif ainsi que l’ensemble des commissions sur l’utilisation de l’argent et le travail réalisé. Aucune des quarante-cinq personnes de la direction n’est rémunérée pour ces activités. Pourtant cette charge est assurée bien souvent au détriment de leur propre plantation de café. Tous les deux ans, une nouvelle direction est désignée lors de l’assemblée générale des caféiculteurs. Cette rotation au sein de la coopérative permet de répartir dans le temps la charge de direction entre tous. Une autre de ses vertus est d’éviter l’accaparement des postes de pouvoir par un petit nombre de personnes. Cela dit, se retrouver au comité exécutif et devoir casser des cailloux devrait également limiter les envies de s’assoupir sur le fauteuil de président.



    P y V
    Chiapas, Mexique,
    décembre 2011.

    source :
    http://www.lavoiedujaguar.net/Fin-d-annee-en-terre-zapatiste

    Notes

    [1]Le territoire zapatiste est administré par cinq Caracoles.

    Caracol I - Madre de los Caracoles del Mar de Nuestros Sueños - La Realidad.
    Caracol II - Resistencia y Rebeldia por la Humanidad - Oventik.
    Caracol III - Resistencia hacia un Nuevo Amanecer - La Garrucha.
    Caracol IV - Torbellino de Nuestras Palabras - Morelia.
    Caracol V - El Caracol que Habla para Todos - Roberto Barrios.

    [2] Entités administratives regroupant plusieurs communautés.

    [3] Plantations de caféiers.

    [4] Acheteurs de café pour le compte des agro-industriels.

    [5] Ces terres sont reconnues comme propriété collective de la communauté depuis des temps immémoriaux. Elles ne peuvent pas se vendre et sont divisées en parcelles entre les membres de la communauté.

    [6] Usine qui enlève la dernière peau aux grains de café et les trie en fonctions de leur taille.

    [7] Terre cultivée pour l’autoconsommation, essentiellement du maïs et des haricots.


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    Zapatisme, pouvoir et démocratie


    par Jean-Pierre Petit-Gras pour le Comité de Solidarité avec les Peuples du Chiapas en Lutte (CSPCL), printemps 2009



    Le système des cargos(charges) dans la tradition indigène et le mouvement zapatiste


    En janvier 1994, les indigènes zapatistes, mayas et zoques du Chiapas, se sont soulevés, les armes à la main, face à un système qui les privait de tout depuis cinq siècles : terre, nourriture, logements décents, santé, travail, éducation... Depuis, ils ont posé leurs armes, mais entrepris de construire une société autonome et originale dans ce coin perdu et superbe du sud-est mexicain.

    Ces gens, que l'on appelle " indiens ", se reconnaissent, eux, comme " indigènes ". Ils se distinguent du reste de la population (du Mexique, par exemple), par le fait qu'ils vivent dans des communautés (villages) sur un même territoire. La propriété privée de la terre n'existe pas chez eux (c'est une aberration, la terre-mère est sacrée... on dit souvent, et eux-mêmes le disent, mais pas pour la galerie, que c'est nous qui appartenons à la terre). Le territoire fait l'objet d'une gestion collective, dans le cadre d'une organisation horizontale, démocratique, très précise, qui s'appuie également sur des tâches effectuées collectivement de manière régulière. La conservation de leurs langues (au Chiapas on parle encore une dizaine de langues mayas, plus le zoque), le fait de partager une vision du monde et des traditions culturelles communes, sont, enfin, les autres éléments essentiels qui caractérisent ces populations indigènes.

    D'emblée, ce mouvement étonne et force l'admiration, à cause de plusieurs caractéristiques :

    En premier lieu, on est saisi par la force des zapatistes, par la fermeté de leur résistance. Ceci, alors que leur situation pourrait sembler extrêmement précaire.

    Dans les régions des Altos (les Hautes Terres), l'absence de place pour cultiver et vivre est flagrante. Habitations, champs de maïs, troupeaux de moutons et êtres humains se partagent des territoires manifestement trop petits, d'autant plus qu'une bonne partie de cette région, entre 1 500 et 2 800 mètres d'altitude, est abrupte... vraiment pas le lieu idéal pour faire passer une charrue.

    Dans la forêt Lacandone et les vallées qui la traversent, la prolifération des installations militaires et celle des groupes paramilitaires, ainsi que la construction de routes et autoroutes, les projets touristiques (rebaptisés écotouristiques, le pouvoir n'ayant jamais peur des mots !), l'implantation de cultures industrielles, toute cette avancée du monde capitaliste moderne, dans lequel des groupes humains autonomes, non soumis au salariat ou aux lois du marché, n'ont évidemment plus leur place, tout cela semble absolument imparable.

    Pourtant, malgré la terrible pression économique et militaire de la " guerre de basse intensité " que lui livrent les gouvernements locaux (notamment celui de l'État du Chiapas, dirigé par le PRD, membre de l'Internationale socialiste) et celui de la république fédérale, les zapatistes construisent une véritable " autonomie ".

    Ayant coupé tout lien d'inféodation avec ceux qu'ils désignent sous le terme de " mauvais gouvernements ", les zapatistes ont instauré, dans les cinq espaces de " capitales régionales " appelées " caracoles " (escargots), cinq structures d' auto-gouvernement, les " Conseils de bon gouvernement " (ou encore : Juntas de Buen Gobierno).

    Ils ont mis en place leur propre système de santé : des cliniques et micro-cliniques, des dispensaires et des équipes de promoteurs de santé se rendent de communauté en communauté, aussi bien pour assurer des soins que pour renforcer la prévention, mais aussi pour recueillir les connaissances des plus âgés, notamment des femmes, en matière de plantes médicinales, de suivi des grossesses, d'accouchements, etc.

    Ils possèdent leur système scolaire : des écoles secondaires où se forment les promoteurs d'éducation. Ces jeunes gens et jeunes filles retournent ensuite dans leur communauté pour définir, en liaison avec les adultes et autres autorités locales, les programmes de ce qu'ils vont enseigner aux enfants dans l'école du village. La police et la justice sont elles aussi directement assurées au niveau des quelques 1 400 communautés, desmunicipes autonomes (il y en a 38) et des Juntas de Buen Gobierno, dans les cinq caracoles.

    Enfin, au plan économique, le travail collectif pour la production alimentaire (champs de maïs, de haricots, café, rizières ou potagers, bétail), permettant une fois nourries les familles de répartir ou commercialiser les excédents, assure une redistribution, notamment en direction des plus âgés et des malades, ainsi qu'en soutien de l'effort de celles et ceux qui travaillent dans la santé, l'éducation, etc.

    Cette organisation est à vrai dire assez impressionnante : malgré l'évidente pauvreté, les tensions et la violence liées à la militarisation et la paramilitarisation de la région, malgré aussi le travail parfois rude (en premier lieu pour les femmes), on peut voir que les populations zapatistes sont en mouvement, actives, solidaires, et que leurs constructions vont de l'avant. La tranquillité, la joie de vivre et d'être ensemble ne sont pas pour la photo. Tout cela se respire et se sent, pour qui séjourne quelque temps parmi eux.

    Les zapatistes n'ont pas inventé cette organisation communautaire. Le système découle d'une tradition ancienne, très probablement bien antérieure à l'arrivée des Espagnols au début du XVIe siècle, et qui a subsisté en dépit, et contre la dure oppression qu'ils ont dû subir (s'il fallait donner un chiffre, rappelons que plus de 90 % des Amérindiens ont été anéantis en 150 ans de domination européenne).

    Cette organisation ancienne s'appuie sur ce que l'on appelle en espagnol les " cargos ", les charges. Il s'agit de responsabilités à caractère rotatif et révocable, non rémunérées, attribuées dès l'adolescence aux membres de la communauté. Ceci pour une durée d'un an, avec des périodes de " repos " entre deux exercices de ces " charges ".

    Les charges concernent un éventail très large de tâches et d'activités, qui vont généralement du plus simple au plus complexe, par exemple de l'entretien d'un lieu de culte, d'un chemin ou des abords d'une source, à la préparation des fêtes religieuses et à l'exercice de la justice, en passant par la police et différentes fonctions " administratives "...

    L'individu qui s'acquitte correctement des différents échelons de ces tâches fera partie, avec les années, des " anciens ", des " autorités " de la communauté.

    Le système colonial a bien évidemment influé, depuis 500 ans, sur l'exercice de ces " charges ". La dénomination même des cargos, leur hiérarchisation et le contrôle des responsables par l'administration et les autorités religieuses ont permis aux Espagnols, et plus tard à l'État indépendant du Mexique d'affiner et de renforcer leur domination sur les indiens. Ces responsabilités varient d'une région à l'autre, avec l'inclusion ou non des femmes (dans l'immense majorité des cas, écartées des responsabilités " extérieures " dans les systèmes sociaux hiérarchisés). Mais si le pouvoir a tenté de contrôler les communautés, à travers les caciques, quelque soit la forme employée pour leur nomination, il n'est jamais parvenu à faire disparaître le principe de ce gouvernement par en bas, au niveau du village, en dehors (et souvent contre elles) des autorités d'un État sur lequel elles n'ont aucune prise.

    Les zapatistes de l'EZLN n'ont donc fait que reprendre et perfectionner l'organisation de ces cargos, en y réintroduisant la participation des femmes, et en les débarrassant, évidemment, de la manipulation de l'administration et des " mauvais gouvernements ".

    Les cargos permettent la mise en marche et le fonctionnement de l'autonomie. Notons que les tâches des promoteurs de santé, d'éducation et de communication (les hommes et femmes qui participent à la circulation de l'information, à la fabrication de documentaires, etc.), entrent dans ce cadre des charges.

    La non rémunération, compensée par les coups de main donnés pour les travaux agricoles, ou une aide en nature rendue possible grâce au travail collectif, est toujours une des caractéristiques essentielles du système des charges. En même temps, rappelons-le, que la révocabilité, la rotation, etc.

    La désignation des responsabilités se fait par consensus, dans le cadre des assemblées de la communauté. Être désigné pour l'une d'elles est un honneur, une reconnaissance, et l'individu se doit bien sûr de se montrer à la hauteur de la mission qui lui est confiée.

    La communauté se dote ainsi des moyens de transmettre et d'utiliser au mieux les compétences de ses membres dans les différents domaines, en adéquation avec ses besoins, coutumes et intérêts, à la recherche d'une harmonie réelle entre ses habitants, mais aussi avec les communautés voisines.

    Les zapatistes ont étendu le système des charges communautaires au fonctionnement de leur auto- gouvernement, c'est à dire à la désignation des personnes qui vont siéger, pour une période déterminée, dans les " municipes autonomes ", regroupant chacun des dizaines de communautés, et aux " Conseils de bon gouvernement " nommés dans les cinq régions géographiques du Chiapas indigène rebelle.

    Dans ce dernier cas, celui des Conseils de bon gouvernement (Juntas de Buen Gobierno), les hommes et les femmes désignées pour gouverner leur région ont un " mandat " qui court sur trois ans. Mais ils ne siègent que par rotation, pendant des périodes de 10 jours. Une fois terminées ces périodes, chacun repart dans sa communauté, vaquer aux occupations " ordinaires ", c'est-à-dire, principalement, à la vie du village et à l'entretien du champ de maïs (les parcelles de culture sont individuelles, ou collectives selon les régions).

    Cette organisation permet à un maximum de personnes d'apprendre l'auto-gouvernement. Les zapatistes reconnaissent qu'ils perdent indubitablement en efficacité, en suivi des dossiers, etc., mais ils insistent sur l'énorme avantage de ce partage réel, par en bas, des responsabilités les plus importantes.

    Une dernière remarque : les zapatistes tsotsil d'Oventik appellent leur " Conseil de bon gouvernement " Snail tzobombail yu'un lekil J'amteletik , ce qui veut dire, à peu près, " la maison de réunion pour ceux qui travaillent au bien commun "...

    Les mayas ont bien fait quelques emprunts à la langue espagnole, pour nommer des objets ou des animaux qu'ils ne connaissaient pas avant l'arrivée des envahisseurs : vakax, par exemple, pour désigner une vache, ou mexa, pour la table, mesa en espagnol. Mais ils n'ont jamais adopté des mots concernant des concepts leur paraissant trompeurs : le mot " démocratie ", entre autres, n'est pas dans leur dictionnaire. La défense des langues vernaculaires sert aussi à cela, ne pas se laisser manipuler.



    L'assemblée de la communauté indigène zapatiste : son rôle et son fonctionnement


    Lors des " Deuxièmes Rencontres des peuples zapatistes avec les peuples du monde ", organisées par les communautés zapatistes du Chiapas au cours de l'été 2007, celles-ci ont apporté des explications claires sur leur organisation, et le fonctionnement de leurs assemblées.

    Étant collectivement propriétaires (il vaudrait mieux dire " responsables ") du territoire de leur communauté, ses membres sont placés dans une situation " objective " d'égalité et de co-gestion.

    Par ailleurs, de nombreux éléments de leur culture, de leur cosmovision, que l'on retrouve y compris dans la structure de leurs langues, de multiples traditions viennent conforter ce refus de la hiérarchie, cette affirmation d'une égalité de condition et de droits entre les individus. On peut citer à ce propos, parmi bien d'autres exemples relevés par des historiens, la coutume consistant à confier à une personne qui s'était enrichie dans le cadre de son activité (commerce, etc.) la charge de mayordomo, c'est-à-dire de responsable de l'organisation des fêtes religieuses dans la communauté. Cette charge représentait à la fois un honneur et une reconnaissance. Mais elle impliquait également beaucoup de frais, pour la personne ainsi honorée, qui devait payer de sa poche les dépenses liées aux multiples fêtes (feux d'artifice, boissons, nourriture, etc.), et se retrouvait complètement " à sec " à la fin de l'exercice de sa charge... Une façon élégante d'empêcher que les disparités sociales s'installent dans le village, n'est-ce pas ?

    L'assemblée communautaire a pour objet l'organisation de la gestion collective de ce qui appartient au village : des biens fonciers, c'est-à-dire les terres, ainsi que les bois, les cours d'eau et les sources, les ressources qui s'y trouvent. Mais également les biens immatériels, à savoir la vie culturelle, religieuse et festive, les rapports sociaux, la transmission des connaissances, la santé, la sécurité, etc.

    Les terres, dans les zones rebelles zapatistes, sont parfois divisées en parcelles attribuées à chaque famille, transmissibles de père en fils (chez les zapatistes une fille peut hériter d'une parcelle, mais ce n'est pas encore généralisé). Ces parcelles sont bien évidemment inaliénables, c'est-à-dire que l'on ne peut les vendre ou les acheter, les soustraire au territoire de la comunidad. On a donc affaire à un droit d'usage, et non au droit de propriété.

    Les parcelles agricoles (les champs de maïs, de haricots, de riz ou d'autres cultures) peuvent également être cultivées collectivement, et les fruits des récoltes sont partagés au sein de la communauté. C'est le cas, généralement, dans les terres récupérées après le soulèvement de 1994.

    La gestion des terres et des ressources, à laquelle il faut ajouter l'organisation du travail collectif (qui est la norme, même dans les zones où les parcelles sont individuelles), plus les questions sociales, politiques et culturelles, font donc l'objet de décisions communes, prises en assemblée pour les plus importantes.



    L'assemblée de la communauté indigène zapatiste : la composition et le déroulement de l'assemblée :


    Tous les membres de la communauté peuvent (et doivent, sauf raison particulière) y participer. Hommes, femmes, enfants (tant qu'ils ne s'endorment pas...)

    Tout le monde a le droit à la parole. Le principe de l'égalité entre les individus est très fort, comme il est dit plus haut. L'idée que personne ne vaut plus qu'un autre semble l'évidence la plus élémentaire.

    En général, c'est une " autorité ", ou bien un membre de la communauté ayant un problème particulier à poser, qui présente le débat.

    Ensuite, vient un moment où tout le monde, quasiment, parle. On peut avoir l'impression d'une confusion.

    Puis c'est de nouveau un ancien, une autorité, qui prend la parole pour tenter d'exprimer l'avis général : " la communauté pense que... "

    Il peut être approuvé, ou contesté dans sa synthèse. Dans le premier cas, un " accord ", verbal, est pris. Cette décision fera office de loi jusqu'à la prochaine assemblée. Pas besoin de procès-verbal, de papier, d'huissier ou de caméra vidéo. La parole est sacrée.

    Dans le deuxième cas, s'il y a contestation, la discussion reprend de plus belle. Si on arrive à un consensus, la décision est prise.

    Dans le cas contraire, on ne prend pas de décision, on la remet à plus tard. Il n'y a pas de vote, pour passer en force, ni à 50,01 %, ni à 75 %... La cohésion de la communauté demande le consensus, l'unanimité, et refuse la division, y compris celle qu'engendrerait l'imposition d'une décision de la majorité sur une minorité.

    Les décisions concernent quasiment tout : désignation des charges de responsabilités (les cargos dont on a parlé), organisation du travail collectif, questions de solidarité, d'éducation, plus les différents et conflits éventuels, qu'il est important de régler, et bien sûr tout ce qui concerne l'implication de la communauté dans la résistance et la construction de l'autonomie. Ceci au niveau local, à celui des " municipios " (municipalités) autonomes, et des Conseils de bon gouvernement.

    La recherche de l'harmonie est une constante, à la fois au sein de la communauté et à l'échelon des relations de voisinage : le compromis est souhaité pour tout conflit interne ou externe (territoire, contestation, comportements vus comme répréhensibles ou nuisibles : par exemple coupe de bois vert, coupe de bois près d'une source, vol éventuel...).

    Tout le monde connaît tout le monde, dans des communautés assez réduites (quelques centaines d'habitants au maximum). On ne parle donc pas pour s'assurer une position dominante, ou pour épater la galerie. Répétons-le, la vision dominante est celle de l'intérêt commun, bien réel, et qu'il faut préserver et renforcer. Dans un système où les moyens de production (les terres) ne sont pas privés, et où les responsabilités sont rotatives et peuvent faire l'objet d'une révocation, ce mode de fonctionnement paraît naturel et logique.

    L'assemblée peut durer longtemps. Les gens sont rompus à ce genre d'exercice, car ils passent énormément de temps à parler ensemble.

    La participation des femmes, et d'autres facteurs non négligeables, comme l'absence de consommation d'alcool, sont des éléments qui viennent renforcer l'efficacité des assemblées. De plus, la gaieté cohabite avec le sérieux, dans ce genre de réunions.

    Dans les communautés zapatistes, les activités liées à la résistance et la construction de l'autonomie, les conflits multiples avec les autorités officielles (l'occupation militaire, avec 60 000 soldats pour une population civile rebelle de quelques centaines de milliers de personnes, et la pression policière, qui multiplie les provocations), qu'elles soient locales, régionales (l'État du Chiapas, dirigé par le gouverneur " de gauche " Juan Sabines) ou nationales (au niveau de l'État fédéral, dirigé par l'extrême-droite Felipe Calderón), ou encore avec les villages non-zapatistes (priistes, perredistes, voire paramilitaires, car le conflit autour des terres est aigu, le gouvernement proposant de redistribuer les terres occupées après 1994, en parcelles privées), tout cela rend ces palabres, débats et assemblées plus qu'indispensables.



    Quelques conclusions :


    Le résultat de ces pratiques des indigènes zapatistes, c'est la force de la pensée collective, des questions réfléchies ensemble, et des décisions appliquées une fois prises.

    Il est difficile de s'expliquer autrement la résistance que sont capables d'opposer les communautés et les organisations en rébellion à la guerre de basse intensité que leur livre le pouvoir depuis quinze ans.

    Cet auto-gouvernement, certainement loin d'être parfait, représente à la fois la récupération d'une tradition (que d'autres communautés ont abandonnée ou dévoyée, sous la pression notamment des manouvres de division opérées par les différents pouvoirs, externes et internes, des illusions engendrées par un progrès qui n'en est pas un, de la soumission à l'État providence, qui n'a pourtant jamais raté une occasion pour les mettre au pas) et un énorme effort d'imagination et de construction. Pour refaire l'autonomie dont les indigènes ont besoin, s'ils veulent continuer à être ce qu'ils sont, à mener la vie qu'ils considèrent comme seule souhaitable, sur ce qu'ils ont de plus cher : leurs terres communes.

    On pourrait ajouter que la démocratie (le pouvoir du peuple) ne peut exister que si une population l'exerce réellement et directement. Pour cela il lui faut partir d'en bas, et non déléguer, s'appuyer sur sa culture, sur une égalité concrète entre les individus, sur la gestion collective et solidaire des biens les plus précieux (la terre, l'air, l'eau, les plantes, la nourriture, la mémoire, la solidarité, la danse, la musique, etc.), ceux qui rendent la vie possible et belle. C'est une des leçons que l'on peut tirer de l'expérience zapatiste.


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    EZLN, 25 ANS APRES

    Paroles adressées par le sous-commandant insurgé Marcos et par le lieutenant-colonel Moisés, aux membres de la Caravane nationale et internationale d'observation et de solidarité avec les communautés zapatistes & déclaration de cette même Caravane - août 2008



    Sous-commandant insurgé Marcos, Caracol de La Garrucha, le 2 août 2008.

    Bonsoir et bonne nuit. Je m'appelle Marcos, le sous-commandant insurgé Marcos, et je suis venu pour vous présenter le lieutenant-colonel insurgé Moisés. En effet, c'est lui qui est chargé par le commandement général de l'EZLN des relations internationales, de ce que nous appelons la Commission intergalactique et la Sexta internationale, parce que, de nous tous, c'est le seul qui ait assez de patience pour vous supporter.


    "Vamos a hablar despacio, para la traduction. We will speak slowly, for the translation. Nous allons parler doucement, pour la traduction."


    Nous voulons vous remercier d'être venus jusqu'ici vous rendre compte directement de ce qu'il en était des zapatistes et de n'être pas seulement venus voir comment nous nous trouvons après les attaques que nous avons subies, mais aussi ce que nous construisons ici en territoire rebelle, en territoire zapatiste.


    Nous espérons que ce que vous verrez et que ce que vous écouterez ici puisse vous servir à porter cette parole très loin : en Espagne, en France, en Grèce, en Italie, au Pays basque, aux États-Unis et dans le reste de notre pays, chez nos compañeros de l'Autre Campagne.


    Souhaitons que vous ne fassiez pas comme la dénommée Commission civile internationale d'observation des droits humains : la seule chose qu'elle est venue faire ici, il y a quelques mois, c'est blanchir le gouvernement PRD du Chiapas en déclarant que les attaques que subissent nos communautés n'était pas le fait du gouvernement chiapanèque mais du gouvernement fédéral.


    J'aimerais introduire un peu ce dont va vous parler le lieutenant-colonel Moisés. Nous sommes heureux que votre séjour ici ait coïncidé avec le fait qu'il se trouvait dans ce secteur car de tous nos compañeros, c'est celui qui a suivi de plus près la construction de l'autonomie dans les communautés zapatistes.


    Je tenais à vous expliquer dans les grandes lignes ce qu'a été l'histoire de l'EZLN et des communautés indigènes zapatistes sur ce territoire, le Chiapas, donc. Je veux parler des Altos de Chiapas, qui est la zone du Caracol d'Oventik ; la zone tzotz choj, tzeltal-tojolabal, qui est celle du Caracol de Morelia ; la zone chol, qui est celle de Roberto Barrios, au nord du Chiapas ; la zone tojolabal ou "Selva Fronteriza", qui est celle du Caracol de La Realidad, et celle-ci, la zone tzeltal, qui est celle du Caracol de La Garrucha.


    Demain, vous êtes invités à visiter un village dont les habitants appartiennent aux bases de soutien de l'EZLN depuis de nombreuses années. Vous aurez l'honneur d'avoir pour guide le commandant Ismael, que voici. Lui et le Señor Ik - le défunt commandant Hugo, ou Francisco Gómez qui était le nom figurant sur son état civil - ont parcouru inlassablement ces "cañadas", ces vallées encaissées, pour y parler de la parole zapatiste à l'époque où personne n'était avec nous.


    Il sera votre guide. Il vous emmènera voir l'endroit où les soldats de l'armée fédérale cherchaient de la marijuana. Nous voulons que vous constatiez par vous-mêmes si on y trouve de la marijuana. Si vous en trouvez, ne la fumez pas ! Allez porter plainte pour qu'on détruise la plantation. Mais non, il n'y a pas de marijuana chez nous. Quand nous le disons, nous, on ne nous croit pas. Vous, on vous croira peut-être... Remarquez, vous. encore moins ! Dès qu'ils poseront les yeux sur vous, ils ne croiront pas un mot de ce que vous dites.


    Le commandant Masho est aussi avec nous ; le voici, à ma droite. Lui aussi fait partie de nos compañeros commandants qui accompagnaient le Señor Ik, le commandant Hugo, au tout début de l'EZLN dans cette "cañada". Aujourd'hui, il fait partie de la Commission Sexta de l'EZLN. Il était avec nous dans le nord-est de la République mexicaine, quand nous avons rendu visite aux peuples indiens et aux compañeros et compañeras de l'Autre Campagne au Mexique dans cette région.


    Comment tout a commencé ? Il y a vingt-quatre ans, presque vingt-cinq maintenant, un petit groupe d'"urbains" ou de citadins comme nous les appelons, nous, est arrivé, mais pas dans cette partie de la forêt, sinon beaucoup plus à l'intérieur, dans ce qui porte aujourd'hui le nom de réserve des Montes Azules (les monts Bleus). Dans cette zone, il n'y avait rien, rien d'autre que des animaux sauvages à quatre pattes, et des animaux sauvages à deux pattes : nous. La façon dont de ce petit groupe voyait les choses - je vous parle de 1983-1984, c'est-à-dire d'il y a vingt-quatre ou vingt-cinq ans - était celle, traditionnelle, des mouvements de libération d'Amérique latine, à savoir : un petit groupe d'illuminés qui prend les armes et se soulève contre le gouvernement. C'est le genre de choses qui fait que beaucoup de gens les suivent et se soulèvent, que l'on renverse le gouvernement et que l'on installe à la place un gouvernement socialiste. Je reste volontairement très schématique, mais pour l'essentiel c'est ce que qui est connu sous le nom de théorie des "foyers guérilleros".


    Ce groupe réduit, composé des quelques-uns que nous étions à l'époque, partageait cette vision traditionnelle, classique ou orthodoxe, si vous préférez, mais il partageait aussi une notion éthique et morale sans précédent dans les mouvements guérilleros ou de lutte armée en Amérique latine. Nous avions hérité cette éthique et cette morale d'autres compañeros qui étaient morts en affrontant l'armée fédérale et la police secrète du gouvernement mexicain.


    Dans toutes ces années-là, nous étions seuls. Nous n'avions aucun compañero dans les villages. Personne ne venait de Grèce nous voir. Pas plus que d'Espagne ou de France ou d'Italie ou du Pays basque. Et du Mexique non plus, d'ailleurs ! Parce que nous étions dans l'endroit le plus reculé et oublié de ce pays. Ce qui était d'abord un inconvénient allait se transformer par la suite en un avantage, car, à l'époque, le fait d'être isolés et oubliés nous a permis de connaître un processus d'involution. N'importe qui d'orthodoxe connaîtra sans doute ce livre qui parle de "la transformation du singe en homme". Pour nous, à ce moment-là, il s'est passé l'inverse : l'homme s'est transformé en singe, qui est ce que nous étions. Y compris physiquement, c'est d'ailleurs pour ça que je porte un passe-montagne. Dans de pareils cas, l'esthétique et le bon goût veulent que l'on se couvre le visage.


    Ce petit groupe a survécu à la chute du Mur de Berlin, à l'écroulement du bloc socialiste, aux impasses de la guérilla en Amérique centrale - celle du FMLN au Salvador, d'abord, puis celle de ce qui s'est appelé il fut un temps le Front sandiniste de libération nationale, au Nicaragua. Et plus tard encore, avec les déboires de l'Union révolutionnaire du Guatemala, l'URNG.


    Ce qui a permis à ce petit groupe de survivre, c'est, selon nous, deux choses. L'une était l'ingénuité ou l'obstination que ces personnes portaient probablement inscrite dans leur ADN. L'autre, c'était le bagage moral et éthique qu'elles avaient hérité de leurs compañeros et compañeras qui avaient été assassinés par l'armée, dans ces montagnes précisément.


    Les choses en seraient restées là, avec deux issues possibles : un petit groupe qui passe des dizaines d'années enfermé dans la montagne, attendant le moment où il se passera quelque chose et pouvoir ainsi agir dans le cadre de réalité sociale ; ou finir, comme une certaine partie de la gauche radicale mexicaine de l'époque, par devenir députés, sénateurs ou présidents légitimes de la gauche institutionnelle au Mexique.


    Au cours de ces premières années, il s'est passé quelque chose qui nous a sauvés. Qui nous a sauvés et qui nous a vaincus. Et ce qui s'est passé est aujourd'hui assis à ma gauche, c'est le lieutenant-colonel insurgé Moisés, ainsi que le commandant Masho, le commandant Ismael qui, avec bien d'autres compañeros, ont fait que l'EZLN, de mouvement orthodoxe de foyer guérillero, passe à être une armée d'indigènes.


    Je ne veux pas seulement dire qu'il s'agissait d'une armée composée en grande majorité par des indigènes. Et quand je dis majoritairement, je couvre mes arrières, parce que, en réalité, sur 100 combattants, 99 étaient indigènes et le dernier était métis. Non, pas seulement, sinon que cette armée et sa façon de voir les choses a subi une défaite dans sa vision d'experts, dans sa vision dirigiste, caudilliste, révolutionnaire classique qui veut qu'un homme, ou un groupe d'hommes, devienne le sauveur de l'humanité ou de notre pays.


    Ce qui s'est donc passé, à l'époque, c'est que cette vision des choses a été vaincue dès l'instant où nous avons été confrontés aux communautés et que nous nous sommes rendu compte que non seulement les indigènes ne nous comprenaient pas, mais aussi que leur projet était meilleur.


    Quelque chose avait eu lieu au cours de toutes les années précédentes, pendant les dizaines d'années précédentes, les siècles précédents. Nous étions confrontés à un mouvement de vie, qui avait réussi à survivre aux tentatives successives de conquête de l'Espagne, de la France, de l'Angleterre, des États-Unis et de l'ensemble des puissances européennes, y compris l'Allemagne nazie de 1940-1945. Ce qui avait fait résister tous ces gens, nos compañeros et compañeras dans un premier temps, puis, ensuite, les hommes et les femmes qui sont aujourd'hui nos chefs, c'était un attachement profond à la vie qui devait beaucoup à leur héritage culturel. Leur langue, leur langage, leur manière de communiquer avec la nature constituaient un autre projet non seulement de vie, mais aussi de lutte. Nous n'étions pas en mesure d'apprendre à quiconque ici à résister. C'est nous qui devenions peu à peu les élèves d'une école de résistance de gens qui ont su résister depuis cinq siècles.


    Ceux qui étaient venus en sauveurs des communautés indigènes ont été sauvés par elles. Et nous y avons trouvé un cap, un but, un chemin, une compagnie et une certaine vitesse marquant notre pas. Ce que nous avons appelé à l'époque et que nous appelons toujours aujourd'hui "la vitesse de notre rêve".


    L'EZLN a contracté de nombreuses dettes auprès de vous, auprès de gens comme vous, au Mexique et dans le monde entier, mais notre dette essentielle réside dans notre cour : dans le cour indigène. Dans cette communauté et dans des milliers de communautés comme celle-ci, peuplées de compañeros bases de soutien zapatistes.


    Au moment où le petit groupe guérillero entre en contact avec les communautés, surgissent un problème et une lutte. Moi, j'ai une vérité - moi, le groupe guérillero -, et toi tu n'es qu'un ignorant : je vais te transmettre mon enseignement, je vais t'endoctriner, je vais t'éduquer, je vais te former. Erreur et défaite.


    Quand le pont d'un langage commun a commencé de se construire et que nous avons commencé à modifier notre façon de parler, nous avons commencé à modifier la façon dont nous nous pensions et la façon dont nous concevions la voie que nous nous étions tracée : servir.


    De mouvement qui envisageait de se servir des masses, des prolétaires, des ouvriers, des paysans et des étudiants pour parvenir au pouvoir et les conduire au bonheur suprême, nous étions en train de nous transformer, petit à petit, en une armée qui devait être au service de ses communautés. En l'occurrence, des communautés indigènes tzeltals, les premières où nous nous sommes installés, dans cette zone précisément.


    L'entrée en contact avec les communautés nous a fait subir une rééducation plus brutale et plus terrible que les électrochocs qu'on vous applique dans les cliniques psychiatriques. Tous ne l'ont pas supporté. Certains d'entre nous, si, mais ils continuent encore à s'en ressentir à ce stade du match.


    Que s'est-il passé ensuite ? Eh bien, que l'EZLN est devenue une armée d'indigènes, au service des indigènes, et qu'elle est passée des six qui ont commencé l'EZLN aux plus de six mille combattants actuels.


    Qu'est-ce qui provoque le soulèvement du 1er janvier 1994 ? Pourquoi avons-nous décidé de prendre les armes ? La réponse est à chercher dans les enfants, les petites filles et les petits garçons. Ce n'était certainement pas dû à une analyse de la conjoncture internationale. N'importe qui parmi vous sera aisément d'accord avec moi pour dire que la conjoncture internationale de l'époque était tout sauf propice à un soulèvement armé. Le bloc socialiste avait été vaincu, l'ensemble du mouvement de la gauche en Amérique latine était dans une phase de reflux. Au Mexique, la gauche pleurait sa défaite devant Salinas de Gortari, qui n'avait pas seulement organisé une gigantesque fraude électorale, mais avait aussi acheté une grande partie de la conscience critique de la gauche mexicaine de l'époque.


    Quiconque un tant soit peu raisonnable nous aurait dit que les conditions n'étaient pas remplies, que nous ne devions pas prendre les armes, qu'il valait mieux déposer les armes et rejoindre son parti, etc. Pourtant, quelque chose à l'intérieur de notre mouvement a fait que nous ayons défié ces pronostics et ces conjonctures internationales.


    L'EZLN se propose alors, pour la première fois, de braver le calendrier et la géographie d'en haut. Les petites filles et les petits garçons, je vous dis. Il s'est trouvé qu'à ce moment-là, tout au début des années quatre-vingt-dix, début 1990, une réforme a été votée qui empêchait les paysans de pouvoir accéder à la terre. Et comme vous allez le voir demain quand vous gravirez la colline qui mène au village de Galeana, la terre en question qu'avaient les paysans c'était ça : des coteaux escarpés et truffés de cailloux. Les bonnes terres étaient aux mains des "finqueros", des grands propriétaires. Dans les jours qui viennent, vous aurez également l'occasion d'aller visiter ces grandes propriétés et vous pourrez constater la différence de qualité de la terre entre l'un et l'autre.


    On ne pouvait donc plus accéder à un lopin de terre. Simultanément, les maladies ont commencé à décimer les petites filles et les petits garçons. Entre 1990 et 1992, dans la forêt Lacandone, aucun enfant n'a atteint l'âge de cinq ans. Avant d'avoir cinq ans, ils mouraient de maladies que l'on sait soigner. Ils ne mouraient pas d'un cancer ou du sida, ils n'étaient pas affectés par une maladie cardio-vasculaire, non, il s'agissait de maladies soignables, typhoïde, tuberculose, et il suffisait même, parfois, d'une simple fièvre pour tuer des petites filles et des petits garçons de moins de cinq ans. Je sais que dans les villes un tel phénomène pourrait même être considéré comme un soulagement : "moins il y a d'ânes, plus il y a d'épis de maïs", dit un dicton. Dans le cas d'un peuple indigène, cependant, la mort des jeunes signifie la disparition de ce peuple. Dans un processus naturel, les adultes grandissent, ils se font vieux et ils meurent. S'il n'y a plus d'enfants, la culture en question disparaît, tout simplement.


    La mortalité des indigènes, des enfants indigènes, aggravait donc encore la situation. Cependant, la différence entre ce qui existait ici et ce qui se passait chez les autres peuples indiens, c'est qu'ici il y avait une armée rebelle, et armée. Ce sont les femmes qui ont commencé à monter toute cette histoire, pas les hommes. Je sais que la tradition - les mariachis, Pedro Infante et tout le tremblement - veut qu'au Mexique les hommes soient très "machos". Mais chez nous ça ne s'est pas passé comme ça. Ce sont les femmes qui ont commencé à pousser à faire quelque chose, à dire que ça ne pouvait plus continuer, que "ya basta" ; les femmes, qui voyaient mourir leurs enfants sous leurs yeux.


    Une sorte de rumeur à commencé à parcourir toutes les communautés : il faut faire quelque chose, "¡ya basta!", ça suffit maintenant, dans toutes les langues. À ce moment-là, l'EZLN était aussi implantée dans la zone des Altos. Et sur place se trouvaient deux de nos compañeras qui ont été, et sont toujours, la colonne vertébrale dans toute cette affaire : la défunte commandante Ramona et la commandante Susana.


    Dans différents endroits a commencé à surgir ce souci, ce problème épineux. Appelons les choses par leur nom : cette rébellion des femmes zapatistes, qui disaient qu'il fallait faire quelque chose. En ce qui nous concerne, nous avons fait alors ce que nous devions faire, c'est-à-dire demander à tout le monde ce que nous allions faire. En 1992, il y a donc eu une consultation - sans télévision, sans gouvernement central, là-haut dans le District fédéral, sans rien de ce qui existe aujourd'hui -, et village après village on a organisé des assemblées comme celle où nous nous trouvons en ce moment. Le problème était posé. L'alternative était très simple : si nous prenions les armes, on allait nous écraser mais cela aurait au moins le mérite d'attirer l'attention sur nous et les conditions de vie des indigènes s'amélioreraient ; si nous ne prenions pas les armes, nous allions survivre, mais nous allions disparaître en tant que peuples indiens. La logique de mort, voilà ce qui nous a fait dire qu'on ne nous a pas laissé d'autre choix. Aujourd'hui, quatorze ans plus tard, presque quinze, nous - tous ceux qui sont ici depuis plus longtemps - nous disons : "Que c'est bien de ne pas avoir eu d'autre choix !"


    Les communautés ont dit : "C'est pour ça que vous êtes là ; battez-vous, luttez à nos côtés." Il ne s'agissait pas seulement d'une relation d'obéissance formelle ; parce que, en fait, formellement, c'était le contraire. Formellement, c'était l'EZLN qui commandait et les peuples et communautés qui étaient les subordonnés. Dans les faits cependant, dans la réalité, c'était le contraire : les communautés soutenaient, nourrissaient et faisaient croître l'Armée zapatiste de libération nationale. À l'époque, la participation d'un compañero métis de la ville a aussi été très importante. Je veux parler du sous-commandant insurgé Pedro, mort au combat le 1er janvier 1994.


    Au moment de soumettre cette alternative à laquelle les communautés ont répondu de "prendre les armes", le calcul militaire que nous avons fait - et le lieutenant-colonel Moisés s'en souviendra sûrement très bien, car c'est dans cette montagne derrière nous, derrière ce village, dans un camp que nous avions là qu'a eu lieu une réunion de tous les chefs zapatistes - l'idée que j'ai exposée a été la suivante : il faut soigneusement penser ce que nous allons faire, parce que quand nous allons mettre en branle quelque chose il n'y aura plus moyen de faire marche arrière.


    Si nous commencions à demander aux gens s'ils voulaient prendre les armes ou non, plus rien n'allait pouvoir arrêter ça. Nous savions, nous pressentions que la réponse allait être "oui". Et nous savions et pressentions que ceux qui allaient y rester étaient ceux qui étaient réunis ici, dans ces montagnes au-dessus de La Garrucha.


    Il s'est passé ce qui s'est passé. Je ne vais pas vous raconter le 1er janvier 1994 parce que vous commencez à connaître notre histoire - enfin, certains d'entre vous, parce que d'autres étaient encore tout gamins -, je me limiterais à dire qu'a commencé une étape de résistance, comme nous l'appelons, au cours de laquelle on est passé de la lutte armée à l'organisation d'une résistance civile et pacifique.


    Dans le cours de ce processus, il s'est passé une chose sur laquelle je voudrais attirer votre attention : le changement d'attitude de l'EZLN par rapport à la question du pouvoir. C'est cette position vis-à-vis de la question du pouvoir qui va le plus profondément marquer la trajectoire zapatiste. Nous nous étions déjà rendu compte - et ce "nous" comprend désormais les communautés, non plus seulement le petit groupe du départ -, nous nous étions déjà aperçu, disais-je, que les solutions, comme tout le reste dans ce monde, se construisent du bas vers le haut. Or tout notre projet antérieur et toutes les propositions de la gauche orthodoxe jusque-là, c'était le contraire : c'est d'en haut que l'on résout la situation du bas.


    Ce renversement de perspective, du bas vers le haut, signifiait pour nous que nous n'allions pas nous organiser ni organiser les gens pour aller voter ou pour aller à une manifestation ou pour crier des slogans, mais pour survivre et convertir la résistance en une école. C'est ce qu'ont fait nos compañeros. Non pas l'EZLN du début, le petit groupe fondateur, mais l'EZLN désormais avec cette composante indigène. C'est ce processus, que l'on connaît aujourd'hui dans les grandes lignes comme la construction de l'autonomie zapatiste, dont va vous parler maintenant en détail le lieutenant-colonel insurgé Moisés.


    Auparavant, je tiens à vous faire remarquer plusieurs choses. On dit, non sans raison, qu'au cours des deux dernières années, 2006 et 2007, le sous-commandant Marcos s'est efforcé, avec acharnement et avec succès, à détruire l'aura médiatique dont on l'avait entouré. Et c'est un fait remarquable que des gens qui était auparavant proches de nous se sont éloignés ou sont même devenus radicalement antizapatistes. Certaines de ces personnes sont retournées chez elles dans leur pays pour y donner des causeries et y ont été reçues comme si c'était elles qui s'étaient insurgées en prenant les armes. Il s'agissait de zapatologues, disposés à voyager tous frais payés, à recevoir les applaudissements, les caravanes et certaines faveurs, quand ils voyageaient à l'étranger.


    Qu'est-ce qui s'est passé ? Je vais vous dire comment nous voyons les choses. Vous, vous avez votre propre idée sur la question. Quand l'EZLN prend les armes, surgit. Je m'explique : ici, dans les zones indigènes, on parle beaucoup des "coyotes". Il faut que je situe clairement les choses sur les coyotes, parce que pour les Yaquis ou pour les Mayos c'est un animal totémique très chouette, un symbole important. Au Chiapas, non. Le coyote, ici c'est un intermédiaire. C'est quelqu'un qui achète bon marché aux indigènes et qui revend très cher ce qu'il leur a acheté.


    Alors, quand se produit l'insurrection zapatiste, on voit apparaître ce que nous, nous appelons les intermédiaires de la solidarité. Autrement dit, les coyotes de la solidarité. Des gens qui prétendaient, et prétendent encore, qu'ils sont les interlocuteurs privilégiés du zapatisme, qu'ils ont le téléphone rouge, qui savent comment les choses sont réellement ici, ce qui constitue pour eux un capital politique. Ils arrivent ici et apportent un petit quelque chose, autrement dit, ils payent bon marché, puis ils repartent et se présentent comme les émissaires de l'EZLN : ils se font payer cher.


    L'apparition de ce groupe d'intermédiaires, qui comptait dans ses rangs des politiques, des intellectuels, des artistes et des gens du mouvement social, nous a caché l'existence d'autres choses, d'autres "en bas". Nous, les zapatistes, nous pressentions qu'il devait bien y avoir une Espagne d'en bas, qu'il devait bien exister un Pays basque en rébellion, qu'il y avait une Grèce rebelle, une France insurgée, une Italie des luttes ; mais nous ne les voyions pas. Et nous craignions donc d'être également invisibles à vos yeux.


    Ces intermédiaires organisaient et faisaient des choses quand nous étions à la mode, et percevaient leur capital politique. Comme quelqu'un qui organise des concerts en disant que les recettes sont pour le Chiapas, mais en empoche une partie : il se paye une sorte de salaire ou ce qui revient à son organisation.


    Il y avait bel et bien un autre "en bas". Nous l'avons toujours pensé, nous avons toujours eu l'idée que le zapatisme n'est pas le seul rebelle ni le meilleur. Notre idée n'a jamais été de créer un mouvement qui capitalise et dirige toute la rébellion au Mexique ou toute la rébellion au niveau mondial. Nous n'avons jamais aspiré à une internationale, à la cinquième internationale ou à je ne sais laquelle. On en est où ? - Alejandro ? - On en est à la Sexta, la sixième ? Oui, mais ça c'est autre chose, c'est "l'Autre Internationale". Le compañero s'y connaît en internationales.


    Alors, qu'est-ce qui s'est passé ? Moi, je vais vous dire certaines choses qui ne constitueront aucune nouveauté pour vous. La fiction que représente une gauche institutionnelle n'a pas de secret pour les Espagnols, qui ont Rodríguez Zapatero et Felipe González ; pour le Pays basque - Gora Euskal Herria -, c'est encore plus évident ; pour l'Italie rebelle aussi, ça n'est pas nouveau ; quant aux Grecs, ils peuvent certainement nous en parler abondamment, et la France, avec ce baron de Mitterrand, c'est pareil.


    Au Mexique, ce n'est pas le cas, on continue d'en attendre quelque chose. On continue de penser qu'il est possible que si la gauche que nous subissons aujourd'hui parvenait au pouvoir, elle pourrait le faire sans y laisser des plumes. Je traduis : qu'il lui serait possible d'arriver à gouverner sans cesser d'être de gauche. L'Espagne, la France, la Grèce, l'Italie, quasiment tous les pays du monde peuvent témoigner du contraire, à savoir, que des gens de gauche, conséquents - pas nécessairement radicaux -, dès qu'ils arrivent au pouvoir, cessent d'être de gauche. Leur vitesse varie, leur profondeur change, mais ça ne rate pas : ils se transforment. C'est ce que nous, nous appelons "l'effet estomac" du pouvoir : ou il te digère ou il te transforme en merde. Qu'on observe le rapprochement qui a lieu au Mexique entre la gauche, ou ce qui se proclame gauche, et le pouvoir - maintenant que j'y pense, je me rappelle qu'un journal avait écrit que je n'étais pas ici mais à Mexico, à prendre du bon temps dans les fêtes de la gauche ; j'ignorais qu'il y avait une gauche dans la ville de Mexico et qu'elle faisait des fêtes. Si, il y a encore une gauche, mais c'est l'Autre Gauche -, à l'instant même où la possibilité d'arriver au pouvoir s'est présentée pour la gauche, ce processus de digestion et de défécation propre au pouvoir a commencé. Quant aux zapatistes et à quiconque s'est rangé au centre - je suis désolé si je brise le cour à certains, mais le centre ne se trouve pas au centre, il est collé à la droite. Non, c'est l'autre côté, à droite. Enfin, à votre droite.


    Bref, voilà que l'on nous demandait, que ce groupe d'intellectuels, d'artistes et de leaders sociaux nous demandaient de revenir en arrière dans l'histoire jusqu'en 1984, jusqu'à l'époque où nous pensions que si un groupe ou un individu arrive au pouvoir, il peut tout transformer vers le bas. On nous demandait donc de déposer notre confiance, notre avenir, notre vie et notre méthode en une personne éclairée, en un individu, ainsi qu'à la bande des 40 voleurs qu'est la gauche mexicaine.


    Les zapatistes ont dit "non". Ce n'est pas que nous trouvions le "président légitime" [allusion à Andrés Manuel López Obrador, "vainqueur" évincé de l'élection présidentielle de 2006 - NdT] particulièrement antipathique, c'est purement et simplement que nous ne croyons pas en une telle méthode. Nous ne croyons pas que quiconque, même quelqu'un d'aussi beau que le sous-commandant Marcos, soit capable d'opérer une telle transformation - bon, d'accord, mais les jambes, quand même. Il ne pouvait en être question pour nous, par conséquent la rupture a eu lieu.


    Je tiens personnellement à attirer votre attention sur un fait : à l'époque, nous avons dit ce qui allait arriver. Ce qui se passe en ce moment. Quand nous l'avons dit, nous, on nous a rétorqué que nous faisions le jeu de la droite. Maintenant que les mêmes répètent ce que nous avions dit il y a deux ans, et parfois en reprenant mot pour mot nos propres paroles, on prétend que c'est pour rendre service à la gauche.


    Le zapatisme est incommodant. C'est comme si dans le puzzle du pouvoir apparaissait une pièce qui ne rentre nulle part et dont il faut se débarrasser. De tous les mouvements qui existent au Mexique, il y en a un, le zapatisme - ce n'est pas le seul -, qui est gênant pour tous ces gens. Car c'est un mouvement qui ne permet pas de s'intégrer, qui ne permet pas de se rendre, qui ne permet pas de renoncer, qui ne permet pas de se vendre. Or dans les mouvements d'en haut, c'est la logique en vigueur, c'est ce qui est rationnel. C'est la "Realpolitik", comme ils appellent ça.


    Alors, un éloignement à lieu qui commence peu à peu à s'étendre jusqu'aux secteurs internationaux, essentiellement en Amérique latine et en Europe. Dans le même temps, des relations plus solides parviennent cependant à s'établir. Pour n'en citer que quelques-unes, celles avec les compañeros de la CGT espagnole, avec le mouvement culturel rebelle du Pays basque, avec l'Italie sociale et, plus récemment, avec la Grèce rebelle et insoumise que nous avons rencontrée.


    Ce glissement vers la droite que j'évoquais est occulté de la manière suivante. On dit que "l'EZLN s'est radicalisée et qu'elle est devenue plus de gauche". Pardon, mais notre façon de voir les choses n'a pas changé : nous ne cherchons pas à prendre le pouvoir, nous pensons que les choses se construisent à partir du bas. Ce qui s'est passé, c'est que ces secteurs, le secteur des intermédiaires de la solidarité, des coyotes internationalistes ou de l'internationale du "coyotage", ont glissé sur la droite. Parce que le pouvoir ne permet pas d'accéder à lui impunément.


    Le pouvoir est un club élitiste, qui exige certaines conditions bien précises pour y entrer. Ce que les zapatistes appellent "la société du pouvoir" possède certaines règles et on ne peut y accéder que si on respecte ces règles bien précises. Qui cherche la justice, la liberté, la démocratie et le respect de la différence n'a aucune possibilité d'y accéder, à moins de renoncer à ses idées.


    Quand nous avons commencé à percevoir ce dérapage vers la droite du secteur qui semblait le plus zapatiste, nous avons donc commencé à nous demander à quoi cela correspondait, ce que cela cachait. Pour être sincères, nous avons commencé en sens inverse : nous avons commencé par le monde, autrement dit au niveau international, et ce n'est qu'ensuite que nous nous sommes demandé ce qu'il en était au Mexique.


    Pour certaines raisons que vous serez peut-être à même d'expliquer, l'affinité avec le zapatisme a toujours été plus forte dans d'autres pays, ailleurs qu'au Mexique. Parallèlement, elle a été plus forte au Mexique qu'avec les gens au Chiapas. Comme si ce lien s'établissait plus facilement en raison inverse de la proximité géographique : ceux qui vivaient plus loin étaient plus proches de nous, tandis que ceux qui vivaient plus près étaient plus distants.


    L'idée nous est venue de chercher ces gens, ayant l'intuition qu'ils existaient et le désirant vivement : vous, d'autres comme nous. Arriva la Sixième Déclaration de la forêt Lacandone, la rupture définitive avec ce secteur des coyotes de la solidarité. Et conséquemment la quête, au Mexique et dans le monde, d'autres qui soient comme nous, tout en étant différents.


    Outre notre position sur la question du pouvoir, un autre élément essentiel caractérise le zapatisme (vous le verrez certainement au cours de votre séjour ici ou si vous discutez avec nos conseils autonomes et avec nos conseils de bon gouvernement, c'est-à-dire avec nos autorités) : le refus de prendre la tête de la société et de l'homogénéiser. Nous ne voulons pas un Mexique zapatiste, pas plus qu'un monde zapatiste. Nous ne cherchons pas à ce que tout le monde devienne des indigènes. Ce que nous voulons, c'est un lieu, ici, le nôtre ; nous voulons qu'on nous fiche la paix ; nous voulons que personne ne nous commande. Voilà la liberté : que nous puissions décider librement ce que nous voulons faire.


    Nous pensons que ce n'est possible que si d'autres comme nous veulent la même chose et se battent pour y arriver. C'est de cette manière que s'établit une relation de camaraderie, de "compañerismo" comme nous le disons. C'est cela que veut construire l'Autre Campagne. C'est cela que veut construire la Sexta internationale. Une rencontre de rébellions, un échange d'apprentissages et une relation plus directe, non médiatique mais bien réelle, de soutien entre organisations.


    Il y a quelques mois, nous avons accueilli ici des compañeros appartenant à Vía Campesina venus du Brésil, de Corée, d'Espagne, d'Inde, de Malaisie, de Thaïlande - et je ne me rappelle plus d'où encore. Nous les avons rencontrés à La Realidad, où nous étions tous réunis. Quand nous avons parlé avec eux, nous leur avons dit que, pour nous, les rencontres de dirigeants ne valaient rien. Pas même la photo qu'ils faisaient prendre à ce moment-là. Si les organes directeurs de deux mouvements ne servent pas à que ces mouvements se rencontrent et se connaissent, c'est qu'ils ne servent à rien.


    Nous vous le répétons aujourd'hui, et à quiconque viendrait nous proposer quelque chose de semblable. Ce qui nous intéresse, c'est ce qu'il y a derrière : vous, d'autres comme vous. Nous ne pouvons pas aller en Grèce, mais nous pouvons calculer sans craindre de nous tromper que tous ceux qui ont voulu venir ici n'ont pas pu le faire. Comment pouvons-nous parler avec ces autres ? Comment faire pour leur dire que nous ne voulons pas une aumône, que nous ne voulons pas leur pitié ; que nous ne voulons pas qu'ils nous sauvent la vie ; que nous voulons juste un compañero, une compañera et un/e compañero/a en Grèce qui mènent leur propre lutte. Au Pays basque, au Danemark, en Allemagne, en Italie, en Espagne, en France, en Suède - je ne me risquerais pas à nommer tous les pays, il ne manquerait plus qu'il en manque un et j'aurais droit à des protestations.


    Qu'est-ce que nous visons ? Dans ce rapide tour d'horizon, je vous ai parlé d'un bagage moral et éthique hérité de ceux qui ont fondé l'EZLN. Cela a surtout à voir avec la lutte et le respect pour la vie, pour la liberté, pour la justice et pour la démocratie. Nous les zapatistes, nous avons une dette morale envers nos compañeros. Pas avec vous, ni avec les intellectuels qui ont pris leurs distances, ni avec les artistes ou les écrivains, ni avec les leaders de mouvements sociaux qui sont maintenant antizapatistes.


    Nous avons une dette envers ceux qui sont morts en luttant. Et nous souhaitons que le jour vienne où nous pourrons leur dire, à elles et à eux, à nos morts et à nos mortes, trois petites choses, rien de plus : nous ne nous rendons pas, nous ne nous vendons pas, nous ne renonçons pas.


    Je cède la parole au lieutenant-colonel Moisés.




    Paroles adressées par le lieutenant-colonel insurgé Moisés aux membres de la Caravane nationale et internationale d'observation et de solidarité avec les communautés zapatistes.

    Bonsoir, compañeros, compañeras. Je voudrais simplement vous expliquer comment est en train de se construire l'autonomie dans les différents Caracoles et conseils de bon gouvernement.


    Avant de commencer, je voudrais juste dire que les choses sont bien comme ce que vous a dit le compañero sous-commandant insurgé Marcos. Avant l'arrivée des compañeros insurgés de l'Armée zapatiste de libération nationale, dans toutes les communautés la vie était très difficile : nous étions exploités, humiliés, piétinés et pillés.


    Je vous parlerai des terres que nous avons reprises, qui, avant, étaient aux mains des latifundistes. C'est sur ces terres que nos grands-pères et nos grands-mères ont vécu. Depuis très très longtemps. Ils voyaient bien que c'étaient les patrons qui faisaient la loi. Et ils voyaient bien, nos grands-pères et nos grands-mères, que c'est pareil avec le mauvais gouvernement.


    Alors, quand est apparue l'Armée zapatiste de libération nationale - comme le racontait le compañero sous-commandant Marcos -, notre travail a commencé dans les villages, à parler de l'exploitation. Et nos compañeros et compañeras, nos grands-pères et nos grands-mères, nos pères et nos mères ont compris qu'il fallait s'organiser. Parce qu'ils voyaient bien ce qui se passait, ce qui arrivait.


    Alors, l'idée était admise qu'il fallait s'organiser, qu'il fallait s'unir et que c'est de cette façon que nous serions forts. Mais à l'époque, on ne pouvait pas parce que les patrons et le mauvais gouvernement nous en empêchaient. Il y aurait bien d'autres longues histoires à dire sur cette question, parce que le mauvais gouvernement nous renvoyait aux organisations officielles comme la CNC, et puis la CTM, la Confédération nationale des travailleurs, quelque chose comme ça.


    Alors, nos pères et nos grands-pères ont adhéré à ces organisations légales, puisque le mauvais gouvernement disait qu'elles allaient résoudre nos besoins, répondre à nos exigences. Nos pères et nos grands-pères ont essayé mais ça n'a rien changé.


    L'idée est alors venue de s'organiser de façon indépendante, de créer des organisations indépendantes ; nos pères et nos grands-pères ont essayé mais ça n'a rien changé. Seul résultat : les persécutions, la prison, les enlèvements et les disparitions.


    C'est pourquoi, quand est arrivée l'Armée zapatiste de libération nationale, nos peuples ont commencé à s'organiser de cette manière. Puis on en est arrivé à l'apparition au grand jour de l'EZLN - comme vous l'a dit le compañero sous-commandant Marcos -, il a donc été décidé que ce serait en 1994, et qu'il fallait que nous nous gouvernions nous-mêmes.


    Tout ça grâce à l'idée que nous avions eue auparavant qu'il était clair que nous devions nous unir et nous organiser. Parce qu'il était évident depuis longtemps que le mauvais gouvernement n'avait aucun respect pour nous. Alors, nous nous sommes organisés, au début, dans les communes autonomes. C'est comme cela que nous les avons appelées : "autonome". Il faut dire que nous autres paysans, indigènes tzeltals, tojolabals, chols, zoques et mames, nous ne comprenions pas ce que cela signifiait, ce que voulait dire le mot "autonomie".


    Petit à petit, nous avons compris que l'autonomie était en fait ce que nous étions en train de faire. L'autonomie, c'était que l'on nous demande ce qu'on allait faire. C'était que nous discutions dans nos réunions et dans nos assemblées et qu'ensuite les communautés décident. Aujourd'hui, nous pouvons bien expliquer ce qu'est l'autonomie qui se met en place dans les MAREZ, les "Municipios Autónomos Rebeldes Zapatistas", nos communes autonomes rebelles zapatistes.


    Plus tard, en tant qu'indigènes nous avons senti que nos frères indigènes vivaient dans les mêmes conditions que nous dans d'autres États de la République mexicaine. Nous en avons eu la confirmation en les rencontrant dans le cadre de l'Autre Campagne.


    Ce que nous pensions, ce que nous ne faisions qu'imaginer auparavant, est aujourd'hui pleinement confirmé. Nous, les indigènes, nous sommes les plus oubliés de tous. Mais nous savons aussi que, pour exister, la liberté, la justice et la démocratie ont aussi besoin de ceux qui ne sont pas des indigènes.


    Le travail des communes autonomes s'est donc encore consolidé. Nos compañeros et nos compañeras ont encore mieux compris et se rendent compte maintenant que les choses devraient se passer de la même manière dans l'ensemble du Mexique, c'est-à-dire que le peuple devrait commander et celui qui gouverne obéir. C'est de cette manière que travaillent nos compañeras et nos compañeros.


    Dans tout ce que nous entreprenons, qu'il s'agisse de santé, d'éducation ou d'autres travaux collectifs, tout est discuté et analysé dans les communautés, puis, ensuite une décision générale est prise de construire ce que l'on juge nécessaire de construire. De cette façon, nos compañeros et nos compañeras se sont rendu compte qu'il était possible de faire les choses. Ils ont continué d'apprendre avec les compañeros et les compañeras des conseils de bon gouvernement. Une chose qui a été comprise et que nos compañeros découvrent toujours plus, c'est l'importance de la participation des femmes, des compañeras, aux différentes "charges", aux postes de responsabilités dans la construction de l'autonomie, car les compañeras ne doivent pas rester en dehors.


    Bien sûr, c'est quelque chose qui a été très difficile pour nous. Parce qu'il a fallu affronter un problème qui vient de loin, qui est que nos compañeras étaient considérées comme un objet qui doit rester à l'écart du reste. Nous avons découvert que, à l'époque des patrons, des grands propriétaires - comme l'ont raconté les compañeras pendant la Rencontre des femmes zapatistes -, nos grands-mères et nos grands-pères étaient maltraités et que les compañeras étaient violées.


    Alors, nos grands-pères ont essayé de protéger nos grands-mères, pour que n'arrive pas ce que leur faisaient les patrons, ce qu'ils faisaient au-dessus d'elles. Malheureusement, c'est ce qui a fait que seulement les hommes se réunissent et discutent, et que les compañeras étaient laissées à l'écart.


    Avec la construction de l'autonomie que nous entreprenons, c'est quelque chose que nous avons découvert : que nous ne pouvons plus continuer comme avant, que les compañeras ne devaient plus être laissées à l'écart. Aujourd'hui, les compañeras et les compañeros s'aident mutuellement pour résoudre les différents problèmes, planifier et discuter, faire des propositions soumises aux assemblées des communes autonomes ou aux assemblées générales du conseil de bon gouvernement.


    Où est l'école, où est l'apprentissage ? Ici même, dans les communautés. Les femmes surveillent tout ce qui se fait et veillent à ce que les hommes fassent bien leur travail. Et ce que les compañeras trouvent que les hommes ne font pas bien, elles le font de leur côté, maintenant elles peuvent le faire.


    Alors, dans notre construction de l'autonomie, ce sont nos peuples, hommes et femmes, qui demandent et veillent à ce que soient correctement appliqués les sept principes de notre "mandar obedeciendo" (commander en obéissant). Comme le disent nos compañeros et nos compañeras, s'il existait au Mexique un gouvernement qui obéit, ce pays serait bien différent.


    Quand nous discutons avec nos compañeros autorités, c'est-à-dire nos mandataires, femmes et hommes, les agents, femmes et hommes, on parle par exemple de ce qui se dit à Mexico, dans ce qu'on prétend être le Congrès de l'Union mexicaine, où il y a les députés et les sénateurs qui se disent les représentants du peuple mexicain. Et nos compañeras et compañeros autorités se demandent : "Quand avons-nous été consultés sur les lois qui y sont faites ?" Ils se sont posé la question quand Carlos Salinas de Gortari a modifié l'article 27 de la Constitution, l'article qui reprend ce que notre général Emiliano Zapata a réussi à faire figurer dans la loi constitutionnelle, à savoir : que la terre ne se vend pas, ne se loue pas. Carlos Salinas et les sénateurs et les députés ont amendé cet article, autorisant qu'on puisse devenir propriétaire de la terre, qu'il y ait des possédants qui puissent décider tout seuls de ce qu'ils veulent faire avec la terre. Autrement dit, ils ont permis que la terre puisse être vendue et allouée.


    Alors, nos compañeros et compañeras autorités se sont demandé quand on leur avait demandé leur avis. C'est à ce moment-là qu'ils en ont conclu que tous ces hommes et ces femmes députés et sénateurs du Congrès ne servent à rien. Qu'ils ne représentaient pas le peuple mexicain, parce qu'ils ne nous demandent jamais notre avis, qu'ils ne nous consultent jamais. D'ailleurs, nous ne pensons pas non plus que l'on consulte les ouvriers sur les lois dont ils ont besoin.


    Lors des assemblées générales dans les communes autonomes et dans les assemblées générales des conseils de bon gouvernement, on parle de ces questions. Que se passerait-il si, dans tout le Mexique, on demandait à l'ensemble des millions d'indigènes, à l'ensemble des millions d'ouvriers, à l'ensemble des millions d'étudiants et d'étudiantes, de dire quelles lois ils veulent ?


    On parle par exemple de Diego de Cevallos, qui est devenu sénateur - il me semble - ou député, et qui est un grand propriétaire. Lui ne ressent pas la souffrance des indigènes ; il ne connaît pas la souffrance des ouvriers et des ouvrières. Il ne peut donc pas savoir de quelles sortes de lois les travailleurs des campagnes et des villes ont besoin.


    Compañeros, compañeras, on pourrait croire que c'est simple de parler de l'autonomie, mais ce n'est pas vrai. Les discours sont bien jolis, mais dans la pratique c'est une autre paire de manches. C'est comme pour les nombreux écrivains, les intellectuels, comme on dit - ou comme ils le disent -, on sait qu'ils ont écrit des livres sur l'autonomie. Qui sait, au mieux, ces livres évoquent 2 ou 5 pour cent de ce que l'on aborde ici en matière d'autonomie. Les autres 95 pour cent manquent complètement.


    Pour pouvoir parler d'autonomie, il faut vivre dans un endroit où on la fait. Pour pouvoir découvrir, pour voir et savoir plus ce que c'est. Par exemple, vous allez pouvoir vous rendre compte de ce va et vient constant qui a lieu dans la pratique de ce qu'est la démocratie, la manière dont se prennent les décisions.


    Dans notre cas, l'organe d'autorité suprême, ce sont les compañeros et compañeras du conseil de bon gouvernement. Elles et eux se réunissent pour discuter des plans d'action. Ensuite, ils proposent aux autorités des MAREZ, aux compañeros et compañeras autorités des MAREZ, c'est-à-dire des communes autonomes, de réunir les compañeros et compañeras autorités, autrement dit les hommes et les femmes mandataires et agents des communautés. La proposition émise par le conseil de bon gouvernement est soumise aux MAREZ. Et ces hommes et ces femmes mandataires et agents rapportent la proposition du conseil de bon gouvernement dans leurs communautés, pour y être étudiée.


    Les décisions sont prises par les communautés, lors d'une assemblée municipale dans laquelle on décide à la majorité de voix de la proposition du conseil de bon gouvernement. Et de là, on remonte vers l'assemblée générale, qui comprend le conseil de bon gouvernement, où on décide, cette fois, en fonction du mandat du peuple. Mandat qui est déposé auprès du conseil de bon gouvernement.


    Après, c'est l'inverse. Autrement dit, le contraire : les communautés peuvent proposer des travaux à exécuter ou des lois que l'on juge nécessaires. Pour donner un exemple, dans la zone où nous trouvons, toutes les communautés qui sont aujourd'hui zapatistes sont en train de décider de quelle façon on va travailler les terres reprises. En ce moment même, dans toutes les communautés de cette zone, on étudie cette question. Toutes les communautés. Il ne reste plus qu'à convoquer l'assemblée générale de cette zone, d'où sortira le mandat sur la façon dont on va s'occuper de ces terres.


    Alors, comment se passent les choses dans une assemblée générale ? Imaginez que vous êtes les hommes et les femmes mandataires et agents qui sont ici. Parfois, une décision est prise à la majorité des voix, et il reste une position minoritaire. Alors, l'une ou l'autre des compañeras ou des compañeros mandataires ou agents expose de nouveau la question en précisant que l'accord auquel on est parvenu pose problème, ce qui aura des conséquences par la suite. Alors, la majorité constituée laisse le droit au compañero ou à la compañera d'argumenter quant aux conséquences de la question qui est posée par le compañero ou la compañera. En fonction des arguments donnés, l'assemblée écoute, est attentive à bien comprendre. S'il s'agit par exemple de travaux ou de quelque chose qui n'a pas encore été mis en pratique, la majorité constituée déclare formellement que cela va être mis en pratique, mais que si ça ne marche pas bien, c'est nous qui commandons et on devra donc corriger et rectifier la situation (en fonction des arguments de la minorité). Autrement dit, on dit à la minorité que ce n'est pas que ce qu'elle avance n'a pas de valeur, mais que les choses vont se faire et qu'elles pourront être améliorées.


    Du coup, la construction de l'autonomie prend diverses formes selon les zones zapatistes, c'est très varié. Les choses ne se font pas exactement de la même manière partout. Vous allez pouvoir en juger en discutant avec vos compañeros et compañeras qui sont allés dans les autres caracoles, parce qu'il n'y a pas qu'un seul modèle, il n'y a pas qu'une seule manière de travailler, en raison de la situation dans laquelle se trouve chaque zone.


    Par exemple, dans les caracoles d'Oventik, de Morelia et de Roberto Barrios, les groupes paramilitaires sont très nombreux. C'est quelque chose qui nous oblige à veiller avec beaucoup de sécurité à la façon dont l'autonomie se met en place. Parce qu'il y a de nombreuses provocations des paramilitaires. Tandis que dans d'autres caracoles, à cause des distances qui séparent une communauté d'une autre, la façon dont se construit notre autonomie est obligée de suivre un autre rythme.


    Cependant, tout reste régi par un principe que nous devons strictement respecter, en pratiquant ce que disent nos sept principes, qui sont que les personnes qui font partie de notre gouvernement doivent obéir et que c'est le peuple qui commande ; que nos gouvernements autonomes doivent constamment redescendre vers les communautés et non pas se hisser vers le haut pour commander, pour cesser de consulter et pour ne rien proposer au peuple.


    Nos autorités autonomes, les MAREZ et les conseils de bon gouvernement, sont tenues de proposer aux communautés, et certainement pas d'imposer. Nos autorités autonomes doivent travailler à convaincre les communautés, et non à les soumettre par la force. Nos autorités doivent construire ce dont on a besoin, ce qui est bon, et non détruire.


    Nos autorités sont chargées de nous représenter, c'est-à-dire que ce qu'elles disent doit véritablement correspondre à la parole, à la pensée de notre peuple. Et en aucun cas exécuter ou faire des choses en prétendant que c'est le mandat du peuple alors qu'ils ne l'ont pas consulté. Autrement dit, nous ne voulons pas que les autorités autonomes en viennent à supplanter le peuple. Nous voulons que nos autorités autonomes servent fidèlement le peuple. Et non pas qu'elles se servent de leur mandat pour devenir un gouvernement autonome (dans le sens du gouvernement mexicain actuel).


    Alors, nos communautés, nos autorités présentes dans toutes nos communautés, se fondent sur ces principes pour faire respecter ces principes. Et dans les conseils de bon gouvernement, les autorités occupent des postes tournants pour gouverner leur zone. Hommes et femmes. C'est donc à ce stade que l'on réussit à concrétiser une participation des hommes et des femmes.


    Compañeros, compañeras, si seulement ce genre de pratiques adoptées par nos peuples pouvaient servir à nos frères et sours ailleurs, au Mexique comme dans d'autres pays. Parce que, quand c'est le peuple qui commande, personne ne peut le détruire. Ça n'empêche pas qu'il faut aussi penser que le peuple et les peuples aussi peuvent faire défaut, qu'ils peuvent se tromper. Mais ça, personne ne peut le leur reprocher.


    Ce n'est pas comme aujourd'hui, où nous pouvons reprocher leurs fautes aux députés et aux sénateurs, aux gouverneurs ou aux maires. Mais le jour où ce sera vraiment le peuple mexicain, ouvriers, professeurs, étudiants, indigènes, paysans, le peuple du Mexique tout entier qui décide, ce jour-là nous n'allons plus trouver personne à accuser, à qui reprocher.


    Si un jour, nous commettons une erreur, eh bien, de la même façon que nous avons été assez bons pour décider ce que nous avons entrepris ici, nous devrons être assez bons pour nettoyer la merde que nous aurons créée. C'est comme ça que ça se passe, c'est là que le peuple montre véritablement qu'il décide. Mais ça, c'est quelque chose qu'il faut arracher à ceux qui commandent aujourd'hui, au mauvais gouvernement. Aujourd'hui, ce sont eux qui possèdent ce pouvoir.


    C'est ce qui nous fait dire que ce qui nous a véritablement permis de construire et pratiquer plus l'autonomie ici, c'est d'avoir repris les terres aux grands propriétaires terriens, aux latifundistes. C'est comme qui dirait s'emparer des moyens de production. Il n'y a que de cette façon qu'on y arrive. Pour cela, il faut s'organiser.


    Alors, compañeros, compañeras, c'est ainsi que nous faisons les choses. Nous espérons que vous en aurez retiré quelque chose d'utile quant à la manière dont nous travaillons et pour voir comment il nous faut continuer encore à le travailler, à améliorer cette autonomie. Vous allez pouvoir en juger par vous-mêmes parce que vous allez visiter certaines communautés. Là, on pourra mieux vous l'expliquer, directement, et vous dire comment les gens l'ont vécu. Et donc la façon dont ils en sont arrivés à ce qu'ils vivent aujourd'hui. Par eux-mêmes, tous seuls, les compañeros et les compañeras.

    Traduit par Ángel Caído.


    Déclaration de la Caravane nationale et internationale d'osbervation et de solidarité avec les communautés zapatistes du Chiapas, 28 juillet - 12 août 2008

    Cela fait maintenant plus de quatorze ans que les zapatistes répondent, jour après jour, à la question "Peut-on vivre et construire la rébellion en temps de guerre permanente sans que cette rébellion ne se transforme en terreur et en guerre ?". Pendant tout ce temps, ils ont inventé dans la pratique leur réponse, avançant dans la construction de leur autonomie au Chiapas, construisant l'alternative, lançant au Mexique et au monde leurs initiatives d'une "autre façon de faire la politique".


    Nous, adhérentes et adhérents à la Zezta internationale et à la Otra Campaña, nous avons formé cette caravane nationale et internationale et nous avons parcouru des communautés indigènes en résistance de quatre des cinq Caracoles zapatistes : La Realidad, Oventik, Morelia et La Garrucha. L'objectif était d'observer la situation politique, sociale et économique dans laquelle se trouvent les compañeras et les compañeros, de leur montrer notre solidarité par notre présence, de leur remettre une collecte que nous avons réunie et de montrer aux trois niveaux de gouvernement que nos compañeras et compañeros des bases de soutien zapatistes et de l'EZLN ne sont pas seul-e-s.


    Nous avons pu constater comment ils avaient repris la terre mère et leur territoire qui étaient aux mains des propriétaires terriens et qui se trouvent aujourd'hui dans les mains des peuples autochtones. Les zapatistes travaillent et cultivent la terre de façon communautaire et collective, ce qui leur permet de développer leur autonomie alimentaire. Cela permet, dans les faits, la mise en place de leurs propres systèmes de santé, d'éducation et d'un long et cetera, à travers leurs propres formes de gouvernement, où le peuple dirige et le gouvernement obéit.


    En ce qui concerne le système de santé, ils nous ont raconté que, avant, les enfants, les adultes et les anciens mouraient de maladies guérissables. Aujourd'hui, nous avons rencontré des promoteurs de santé, des cliniques, des ambulances et des installations appropriées pour l'attention médicale, chirurgicale ainsi que des appareils de diagnostic. Ils conservent aussi leurs pratiques d'herboristerie et de médecine traditionnelle. Il est important de commenter que ce système reçoit sans distinction les personnes qui ne sont pas zapatistes.


    Sur le thème de l'éducation, nous avons été surpris en visitant les écoles dans lesquelles les enfants participent à leur propre éducation, écoutent et apprennent de leur propre histoire. Ils nous ont raconté que, avant, le type d'éducation était imposé, éloigné de leurs nécessités et dans une seule langue. Maintenant, les promoteurs d'éducation sont des jeunes de la communauté et le modèle éducatif se fonde sur leurs besoins, leur réalité, de façon active et bilingue. Il est important de mentionner que cette activité, comme toutes les activités communautaires, ne reçoit aucune rétribution économique.


    Ils nous ont aussi expliqué comment, depuis la création des communes autonomes rebelles zapatistes, puis des conseils de bon gouvernement, avec la naissance des Caracoles il y a cinq ans, le développement de l'autonomie avance de façon irréversible. Les communautés indigènes en résistance développent l'autogouvernement à travers le système de "commander en obéissant", avec leurs propres efforts et le soutien de beaucoup d'autres. Les différents niveaux de gouvernement autonome - communautaire, municipal et des conseils de bon gouvernement - permettent de développer de façon cohérente leurs systèmes de travail collectif, d'éducation, de santé, d'alimentation et tout ce qui est lié à leur autonomie. Les membres sont élus en assemblée (d'hommes et de femmes de tous les âges) et les charges sont honorifiques (sans rémunération) et révocables à tout moment par l'assemblée. Ils participent aussi à la recherche de solutions aux sujets de discussion, conflits ou difficultés de ceux qui se rendent auprès du conseil de bon gouvernement, même s'ils ne sont pas des bases de soutien, dans l'idée du "tout pour tous". Les conseils de bon gouvernement permettent le lien avec les communautés non zapatistes, les collectifs, les organisations ou les individus dans le respect du développement de leur processus vers l'autonomie.


    Nous avons observé la participation des femmes dans tous les domaines de leur autonomie : diverses charges comme autorités locales, conseillères municipales, membres du conseil de bon gouvernement, ainsi que promotrices d'éducation, de santé, etc. Elles nous ont expliqué que, avant la Loi révolutionnaire des femmes (1993), les femmes étaient oubliées, n'avaient pas de droits, ne pouvaient pas décider du nombre d'enfants qu'elles avaient, de l'âge du mariage, de la personne avec qui elles se mariaient et n'avaient pas non plus accès à l'éducation ou au système de santé. Il existe maintenant jusqu'à une clinique de santé reproductive ou des coopératives de femmes : elles accèdent ainsi à la liberté, non pas seulement dans les paroles, mais aussi dans les faits, puisqu'elles peuvent s'organiser toutes seules sans demander d'autorisation à personne.


    Ce qui a rendu possible cette réalité qui dure, c'est sans aucun doute la dignité et la résistance quotidienne des hommes et des femmes zapatistes ainsi que la solidarité partagée. L'incroyable force de cette dignité, de cette résistance et de cette solidarité a permis la construction de la vie à la place de la mort, de la rébellion pacifique à la place de la guerre que l'alliance entre les pouvoirs politiques et économiques du Mexique prétend imposer depuis toujours. Et cette même force zapatiste et solidaire a rendu possible la construction de l'espérance d'une alternative dans les formes et la parole des mouvements et résistances de la planète Terre, qui souffre aussi de la barbarie du capitalisme et de son modèle néolibéral.


    Mais la menace reste latente, et c'est pourquoi - aujourd'hui comme hier - nous nous devons de partager une fois de plus la solidarité comme espace et chemin communs, en défendant la dignité rebelle qui vit et qui résiste dans les montagnes du Sud-Est mexicain, en même temps qu'elle alimente nos propres luttes, espérances, formes et pratiques pour - ensemble - atteindre un monde autre, nouveau, meilleur, possible.


    Éviter le désastre et empêcher le gouvernement mexicain d'imposer ses plans de mort est aussi entre nos mains. Il faut agir maintenant ! La solidarité est notre arme. Il faut renouveler sa force et son imagination. Il faut faire connaître aux zapatistes eux-mêmes, à la société, au monde et aux gouvernements que les zapatistes continuent à être une source d'inspiration, d'espérance, de vie et de solidarité. Faire savoir et démontrer que les zapatistes ne sont pas seul-e-s. Que nous mêmes, nous ne sommes pas seul-e-s.

    Traduit par le Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte


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